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autre lettre dont la formule avait été concertée avec le premier consul et M. Portalis. On se sépara sans pouvoir s’entendre. Dans la soirée, M. Portalis et M. Bernier se présentèrent chez le cardinal Caprara pour l’entreprendre ensemble et séparément sur le même sujet, et toujours de répéter, comme ils l’avaient fait tant de fois, « que refuser les termes de la lettre des constitutionnels, c’était même chose que vouloir tout détruire. Il était impossible d’obtenir du premier consul ce qu’exigeait le légat. » Cela ne servirait qu’à fomenter la vanité, l’orgueil et les prétentions de la cour de Rome, disait M. Portalis, qui était le plus animé des deux messagers du premier consul. Il se servit même d’expressions si dures que Caprara n’ose les rapporter ; cependant il ne persuada pas le légat. « Au point où l’affaire en était venue, le pape lui-même ne pourrait se prêter à rien, car elle ne concernait plus seulement la discipline : elle touchait au dogme[1]. » Il resta donc inébranlable.

Le lendemain, c’est-à-dire le vendredi saint, après avoir passé une nuit pleine d’angoisse, le cardinal Caprara reçut, vers onze heures du matin, la visite de M. Bernier. L’évêque maintenant consacré d’Orléans aborda le nonce avec une grande solennité. « Mon éminence, lui dit-il, il dépend de vous que la France reste schismatique et athée, ou qu’elle redevienne catholique. Les préparatifs faits pour que le jour de Pâques vous célébriez solennellement la messe, et que vous chantiez un Te Deum en action de grâces de la conclusion de la paix, sont, à l’heure où je vous parle, suspendus. Votre éminence peut, selon moi elle doit, malgré ses instructions, remédier aux maux religieux et temporels qui nous menacent immanquablement en consentant à accepter, au lieu de la lettre envoyée de Rome, celle que proposent les constitutionnels… Il leur est impossible de se prêter à plus, parce que le gouvernement, qui les soutient, ne veut pas leur permettre de faire davantage. Le premier consul dit qu’il n’est pas juste et qu’on n’a pas le droit d’exiger un autre acte que celui qu’on exige des non-constitutionnels[2]…. »

« Il ne m’était pas difficile, continue le cardinal, de convaincre le prélat Bernier de l’inanité de semblables principes, il s’en montrait lui-même convaincu ; mais la conclusion était toujours celle-ci : ou rendre de nouveau la France incrédule avec l’Italie, pour ne pas dire l’Europe entière, chose que le pape lui-même, s’il était ici en présence des circonstances malheureuses du temps, ne voudrait certainement pas permettre, ou bien se contenter de ce que

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 18 avril 1802.
  2. Ibid.