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donneraient un nouvel aliment. Lui demander de donner, en sa qualité de légat, l’institution canonique à ces évêques, c’était chose sur laquelle il était inutile d’insister, car elle était au-dessus de son pouvoir. Le premier consul ne parut pas disposé à prolonger davantage cette controverse ; il se borna dès lors à dire au légat qu’il aurait à discuter cette matière avec le conseiller d’état Portalis, chargé de traiter avec lui de toutes les affaires ecclésiastiques[1].

Caprara sortit très satisfait de cette première entrevue et de l’effet qu’il s’imagina avoir produit sur son interlocuteur. Il se crut même autorisé à mander à sa cour que ses objections sur le choix des constitutionnels avaient fait visiblement une profonde impression sur l’esprit du premier consul. Il était loin d’en être ainsi. Dans ce premier entretien avec un vieillard plein d’envie de lui plaire, Napoléon n’avait pas voulu montrer tout d’abord l’inflexibilité de ses exigences, mais il n’en avait rien rabattu[2]. Le légat en eut la preuve lorsque peu de temps après il reçut communication par l’abbé Bernier de cinq propositions mises par écrit et sur lesquelles le premier consul voulait recevoir une réponse formelle et immédiate. « L’abbé Bernier ne lui cachait pas qu’une grande tempête était imminente. Le premier consul en était venu à croire que, sauf la personne sacrée du saint-père, les gens de Rome, tant présens qu’absens, s’entendaient pour le jouer[3]. C’était son intention bien arrêtée de publier le jour de la fête du 18 brumaire la nomination aux nouveaux sièges épiscopaux. Il entendait que les sujets nommés fussent aussitôt institués canoniquement par le légat à latere. Se refuser à lui complaire, c’était de gaîté de cœur tout remettre en question. » Une déclaration si menaçante mettait le légat à la même épreuve qu’avait naguère subie Consalvi, et dont le secrétaire d’état de sa sainteté s’était tiré avec tant de fermeté et de bonheur. Son successeur n’avait pas même force d’esprit, son trouble était extrême, il ne savait à quel expédient avoir recours. « Je parlerai, je ferai parler, écrivait-il à Rome ; mais si tout est infructueux, je me persuaderai que si le saint-père était présent, voyant le danger qu’on court de perdre le fruit de tant de peines, il m’autoriserait à faire ce qui m’est demandé[4]. « Néanmoins, avant de prendre une si grave détermination, se rappelant le gracieux accueil qu’il avait reçu du premier consul et l’heureuse impression qu’il croyait avoir produite sur son esprit,

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 6 octobre 1801.
  2. Lettre de Napoléon au citoyen Portalis, 31 octobre 1801, Correspondance de Napoléon Ier, t. VII, p. 314.
  3. Correspondance du cardinal Caprara, 1er novembre 1801.
  4. Ibid.