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du saint-père devenaient inutiles. Plus d’une fois son rappel fut décidé, mais on ne put jamais l’effectuer[1]. »

La disposition d’esprit que dépeint ici Consalvi et qu’il reproche au représentant du saint-siège était, il faut le dire, commune alors à tous les chefs de mission accrédités par les gouvernemens étrangers auprès du premier consul. Elle était en particulier celle du ministre de la cour de Vienne, puissance catholique dont les dispositions pèsent forcément d’un si grand poids sur les conseils du Vatican. Grand seigneur autrichien, fils et neveu de personnages qui avaient joué un rôle considérable dans les affaires de son pays, le comte de Cobenzel, ce guide naturel des débuts de son collègue de Rome, était lui-même encore sous le coup des revers subis en Italie par les armées impériales. Sa principale étude consistait à devancer en toute occasion les membres du corps diplomatique les plus empressés à prodiguer au premier consul les témoignages d’une admiration d’ailleurs parfaitement légitime, et qui, adressés à un pareil homme, n’avaient certainement alors rien d’affecté. Parmi ceux qui faisaient assaut pour plaire, le comte de Cobenzel était peut-être celui qui y réussissait le mieux. Dans ce rôle facile, les grands talens ne sont point nécessaires, la volonté suffit, car les attentions et la bonne grâce des gens d’ancienne race, quand ils représentent eux-mêmes les vieilles monarchies de l’Europe manquent rarement leur effet sur les dépositaires d’un pouvoir récemment acquis. Visiblement sensible à ces recherches délicates et à ces marques de déférence, Napoléon était surtout habile à les tourner au profit de sa politique. Il a toujours été d’usage en France de se prévaloir de la prédilection naturelle que les ambassadeurs étrangers éprouvent d’ordinaire pour une résidence à laquelle ils reconnaissent un charme qu’ils passent ensuite toute leur vie à regretter ailleurs. La crainte d’être éloignés de Paris, le désir de s’y rendre agréables aux détenteurs de l’autorité, n’a presque jamais, cessé d’exercer une certaine influence avantageuse aux intérêts français sur leur façon de voir, sur leur attitude et sur leur correspondance. Les diplomates les plus aimables et par conséquent les plus recherchés de la société parisienne ont toujours, plus que d’autres, cédé à ce désir naturel de préférer à toute autre l’alliance française. Cette inclination, si flatteuse pour nous, a pour eux l’inconvénient de les rendre moins propres à bien renseigner leur cour et de les exposer à se tromper parfois étrangement sur les dispositions véritables de ceux dont ils se portent les garans. Pareil danger était grand avec un Bonaparte. Si justes que fussent les éloges dont ils accablaient le premier consul,

  1. Mémoires de Consalvi, t. Ier, p. 405.