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cependant le lendemain sans pouvoir en deviner le motif, il fut inopinément appelé aux Tuileries. Cette seconde conversation roula longtemps sur les sujets les plus indifférens ; le cardinal se perdait en conjectures lorsque tout à coup, comme par hasard et parlant d’une chose de nulle importance son interlocuteur laissa tomber ces paroles : « J’ai l’embarras (ho difficulta), après la nouvelle circonscription des diocèses, d’avoir à choisir les nouveaux évêques dans les deux partis des constitutionnels et des non constitutionnels. »

Grande fut la surprise du cardinal Consalvi, car il n’avait point supposé qu’il pût être question de constitutionnels pour remplir les nouveaux sièges. Pareille intention n’avait jamais été annoncée pendant la durée des négociations du concordat. Tout au contraire le premier consul avait cent fois assuré qu’il les abandonnait entièrement. Il s’ensuivit, ajoute Consalvi, une orageuse discussion. Et comment la discussion n’eût-elle pas été orageuse, lorsque chacun des interlocuteurs, d’après l’ordre d’idées dans lequel il était placé, croyait avec une égale sincérité avoir pour lui la raison et le droit ? Il n’avait point fallu attendre longtemps, et c’était au lendemain même de l’accord si péniblement établi que, par la force des choses et sur une question de majeure importance, éclatait la fatale divergence des principes. Le ministre du saint-siège n’avait point de peine démontrer au premier consul que la constitution civile du clergé ayant été flétrie à Rome, le chef de l’église ne pouvait admettre parmi les évêques nouveaux ceux qui n’étaient pas de sa communion ; le concordat avait justement été consenti par sa sainteté pour le motif suprême de mettre un terme au schisme. A quoi Napoléon répliquait froidement « que la raison d’état ne lui permettait en aucune façon de mettre les constitutionnels entièrement de côté ; ils formaient un groupe nombreux. Il devait de toute nécessité en prendre quelques-uns. C’était un parti puissant qu’il lui fallait ménager. Cela même aplanirait la voie, auprès du corps législatif et des membres du conseil d’état et de la magistrature, sans compter tant d’autres personnes de son gouvernement qui étaient, par irréligion, les adversaires du concordat. Toutefois, avant de nommer les évêques constitutionnels, il les obligerait d’accepter le concordat, ce qui impliquait le désaveu de la constitution civile du clergé. » Ces considérations politiques d’une sagesse humaine évidente n’ébranlaient pas la conviction du cardinal, il y opposait des argumens religieux qui à leur tour ne faisaient aucune impression sur l’esprit du premier consul. « La simple acceptation du concordat n’était pas, disait Consalvi, suffisante aux yeux de l’église. Il y avait eu schisme, il fallait qu’il y eût rétractation et