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indispensable au salut des âmes. Voilà le conflit établi. Pour y parer, il n’y a encore que deux solutions connues, et l’on peut douter qu’on en découvre une troisième. La première est radicale : c’est la séparation absolue des deux pouvoirs. On l’a proclamée naguère par une formule devenue célèbre : l’église libre dans l’état libre. La seconde consiste à ménager entre les deux parties un traité qui les lie par de mutuelles concessions : c’est le système des concordats.

La séparation des deux pouvoirs n’est guère actuellement en vigueur que dans la république des États-Unis. On essaie de la pratiquer à des degrés divers en Angleterre, en Hollande et en Suisse. La Belgique incline visiblement vers cet état de choses avec certaines restrictions trop nombreuses pour les énumérer ici. Dans ces derniers pays toutefois, rien d’absolument tranché. En droit et pour la forme, la puissance civile semble y vouloir ignorer l’existence de l’autorité spirituelle. En réalité, c’est une feinte. Elles se connaissent parfaitement ; elles communiquent même l’une avec l’autre d’une façon plus ou moins fréquente, plus ou moins ostensible, en tout cas très efficace. Malgré leur prud’homie protestante, en dépit des vieux sermens anglicans qu’ils sont censés avoir prêtés, le chef du Foreign-Office et le vice-roi d’Irlande seraient fort embarrassés s’ils n’étaient point en relations détournées, quoique habituelles, avec celui qu’officiellement ils continuent d’appeler l’antechrist, et ce n’est pas apparemment pour viser seulement les passeports de ses compatriotes ou pour veiller à leurs intérêts commerciaux que M. Oddo Russell séjourne toute l’année à Rome, sans titre apparent, sans fonctions reconnues, mais non pas à coup sûr sans occupations ni sans crédit. A qui persuader que les chefs de mission des Pays-Bas, de la Belgique, de la Suisse, s’absorbent tellement dans les seules affaires de la politique qu’ils n’aient jamais à entretenir le Vatican des intérêts religieux de leurs pays ? Ainsi donc, même dans cet ordre d’idées, les rapports entre l’église et l’état ne sont pas, à vrai dire, intégralement supprimés. En théorie, on les nie ; en fait, on les laisse subsister. Ils ne sont que diminués en nombre et en importance. C’est un premier avantage ; un second non moins précieux, c’est que le jour où il devient indispensable de s’entendre, on s’abouche confidemment, sans publicité et sans bruit, ce qui rend de part et d’autre les transactions plus faciles. Reconnaissons-le donc sincèrement, l’église libre dans l’état libre est en politique un type idéal qui n’a encore été complètement atteint que de l’autre côté de l’Atlantique ; si quelques peuples s’en rapprochent plus ou moins en Europe, on peut dire que c’est en proportion des franchises dont ils jouissent dans leur