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Toutefois, à la porte de ses anciens maîtres, la pauvre fille, prise d’un nouveau tremblement, se déclara hors d’état de franchir le seuil. — Peut-être, pensai-je, son instinct la sert-il mieux que le mien. — J’entrai donc seule chez mistress Evans, qui fort heureusement était seule aussi. Je lui expliquai simplement, brièvement, la situation, m’étonnant de trouver çà et là, au courant du récit, certains mots qui me frappaient moi-même comme investis d’une sorte d’éloquence. Néanmoins, et bien que j’eusse produit sur elle une impression visible, mistress Evans ne se rendit pas au premier appel. Elle avait gardé le secret que je lui avais demandé, elle ne pouvait s’empêcher de porter intérêt à la fugitive, mais recouvrer en elle la moindre confiance lui semblait tout à fait impossible. En cela se résumaient les paroles que je dus rapporter à Cameron. Elles dissipèrent, je le vis, une de ces promptes espérances qui lui étaient familières ; mais elle soutint bravement le choc, et lorsque je lui remis la petite somme que mistress Evans avait voulu ajouter au reliquat des gages dus à son ex-domestique : — C’est plus que je ne mérite, s’écria celle-ci. Je n’aurais pas dû espérer mieux. Puis, au moment de faire retraite, elle revint tout à coup sur ses pas. — Non, dit-elle, je veux d’abord la remercier, je veux obtenir son pardon… J’avais vu mistress Evans fort occupée des préparatifs de son prochain voyage, et je craignis une démarche indiscrète. Cependant je rentrai pour solliciter, au nom de Cameron, une entrevue de quelques instans ; elle lui fut accordée avec quelque hésitation, bien naturelle en pareille circonstance. Jane entra sur mes pas, sans être vue d’aucune des domestiques, attendu qu’en venant la rejoindre j’avais laissé l’huis entr’ouvert. Un mouvement passionné la jeta aux pieds de mistress Evans, qui eut fort affaire de dissimuler à quel point cette scène pathétique prenait sur elle.

— Je vous pardonne de tout cœur, ma pauvre femme, dit-elle à Cameron encore prosternée. J’espère que Dieu vous donnera la force de persister en ses voies. Si je puis contribuer à vous y maintenir, je le ferai certes, et de mon mieux… D’ici à quelques jours, quand j’aurai pris conseil de mon mari, vous saurez ce qui aura été convenu entre nous… En supposant qu’on veuille vous faire entrer dans une institution réformatrice[1], votre consentement nous serait-il acquis ?

— Je consentirai, répondit Jane, à tout ce qui prouvera que je ne suis plus ce que j’étais.

Les choses en sont là, pour le moment, et j’avoue que j’ai bon espoir. Mistress Evans me semble une vraie chrétienne.

  1. Reformatory.