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trouver sans efforts au même niveau intellectuel que les vaincus. C’est pendant la première période de la conquête, sous les califats d’Abou-Bekre et d’Omar, que l’Égypte, la Syrie et la Perse furent conquises. C’est en 636, moins de vingt ans après l’hégire, que la Perse devint musulmane. On sait quels étaient à cette époque le fanatisme farouche, la brutalité guerrière des apôtres armés de l’islam. Ils se faisaient gloire de n’être que des soldats, des barbares et des croyans, de mépriser les raffinemens et les splendeurs des nations efféminées. Les chefs qui les conduisaient les entretenaient dans ces sentimens, comprenant que c’était dans cette barbarie même, dans ce profond dédain de l’univers entier et dans cette rudesse que résidait la principale force de leurs armées. Omar, qui les amenait à sa suite en Perse, a, comme brûleur de temples et destructeur de merveilles, une réputation aussi grande que comme général. Il est impossible cependant de ne pas voir dans les récits arabes qui nous ont transmis les détails de la campagne de Perse les traces de l’admiration involontaire des conquérans pour le luxe et la splendeur dont ils étaient les témoins. Le fanatisme est impuissant à réprimer ce sentiment chez les fils incultes du désert ; ils sont éblouis, demain ils seront subjugués par ces richesses et par ces arts. La première bataille fut livrée près de Kadesiah, elle dura trois jours. Roustam, l’un des meilleurs généraux du roi Jezdedjerd, avait cent vingt mille soldats, qui se conduisirent bravement malgré le vent du désert qui leur jetait le sable au visage et les aveuglait ; mais comment résister à l’élan furieux de gens qui combattaient pour mourir autant que pour vaincre, et dont la suprême ambition était de périr par les armes dans les saintes batailles de l’islam ? Vers le soir du troisième jour, Roustam, accablé de fatigue, dormait sur un tapis auprès des mules qui portaient les trésors, lorsque Hélal, fils d’Omar, se jetant à corps perdu sur les lignes des Perses avec une poignée d’hommes, pénétra jusqu’à lui et le tua d’un coup d’épée. La mort du chef détermina la déroute de toute l’armée, et les Arabes, désormais maîtres de la rive droite du Tigre, vinrent camper à Nahar-Schir, en face de Ctésiphon.

De l’autre côte du fleuve, on apercevait les terrasses et les tours élevées du palais des rois de Perse ; les Arabes furent frappés de la magnificence de ces édifices et s’écrièrent, dit l’historien : « À nous ces dômes étincelans d’or dont Dieu nous a promis la conquête par la bouche de son prophète[1] ! » Jezdedjerd, successeur dégénéré du grand Chosroès, fut saisi de crainte en entendant ces cris de victoire, en voyant sur l’autre rive cette armée dont l’impétueux élan

  1. Aboulféda, t. Ier.