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charité chrétienne en venant se pourvoir ainsi dans un établissement que bien des gens suspectent encore. Elle n’a pas voulu, comme cela se voit quelquefois, abuser de la position de Jane pour lui faire accepter des gages inférieurs à la moyenne ordinaire. Enfin, tenant un juste compte des susceptibilités de notre libérée, elle lui a formellement promis de ne révéler ses pénibles antécédens à aucun des autres domestiques de la maison.

Fin de septembre.

Fidèle à sa promesse, Jane m’écrivit dès son entrée chez mistress Evans pour m’annoncer cette bonne nouvelle, dont elle ne me savait pas instruite. Elle ne me demandait pas de l’aller voir, et cette réserve, sur le motif de laquelle je ne pouvais me tromper, hâta ma visite. L’émotion de Jane, qui était venue m’ouvrir la porte, fut pour le moins aussi vive que je pouvais m’y attendre. Elle n’avait osé, disait-elle, espérer que je me dérangerais pour la venir voir si tôt. Puis elle courut prévenir sa maîtresse, et sur la demande expresse de mistress Evans je me présentai chez cette dame, qui me rendit de sa nouvelle acquisition le compte le plus satisfaisant. Jane manifestait, me dit-elle, plus de zèle, plus d’activité qu’aucun des autres domestiques. Les enfans déjà la préféraient à leur nurse, et depuis certain jour où elle les avait promenés à la place de celle-ci ne juraient que par la nouvelle venue. La satisfaction au reste était mutuelle. Sauf quelques questions indirectes de ses camarades, qui la gênaient quelque peu, et dont elle s’était tirée jusque-là par des réponses ambiguës, Jane ne voyait que sujets de se réjouir. Les maîtres étaient la bonté même. La règle un peu stricte de la maison lui paraissait douce au prix du régime dont elle avait contracté l’habitude. On exigeait d’elle bien moins de travail qu’à Millbank et à Brixton. Bref, pas une objection pour le présent, pas une crainte pour l’avenir ; de bonnes résolutions désormais inexpugnables, des espérances triomphantes, une confiance illimitée dans l’avenir. Tout cela était trop beau et me fit peur.

J’avais raison de m’alarmer. La seconde lettre de Jane, — je l’ai reçue la semaine dernière, — était tout autre que la précédente. Aucune plainte positive, mais un accent général de tristesse résignée qui me donna fort à penser. J’ai cru qu’il fallait porter quelques secours à cette imagination malade. Jane m’a vue arriver avec moins de surprise, mais avec tout autant de gratitude que la première fois. Elle s’inquiétait surtout de ce que sa maîtresse pensait d’elle ; — Beaucoup de bien, lui ai-je répondu. Elle trouve seulement que vous vous exténuez de travail, et attribue à ceci la tristesse qui rend votre physionomie sombre et maussade…

— Non, m’a répondu Cameron ; le travail au contraire me