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confiance exagérée, je ne voyais pas la nécessité de lui ôter une illusion qui pouvait avoir d’heureux effets, illusion qui du reste semblait quelque peu ébranlée, si l’on m’a dit vrai, pendant les dernières journées de son séjour ici. Mon absence inattendue a peut-être compté pour quelque chose dans l’agitation, le trouble extrême qu’on a remarqués en elle aussitôt que le jour de sa sortie lui a été connu et lorsque les préparatifs d’un prochain départ ne lui ont plus laissé le moindre doute à ce sujet. Pendant les trois journées dont je parle, elle ne pouvait plus vaquer à son travail de couture, ni s’appliquer à aucune autre tâche exigeant quelque attention. Elle avait perdu le sommeil et l’appétit. Une espèce de fièvre dévorait. Mon nom sans cesse revenait dans ses discours. — Il est impossible, disait-elle, que miss Weston me laisse partir ainsi… L’impossible a failli arriver. Je ne suis rentrée à Brixton que la veille du jour où Jane devait être conduite chez ses nouveaux patrons. Il était trop tard pour lui parler, et le lendemain, mon service repris, je ne pouvais guère songer à m’occuper d’elle. Cependant je m’arrangeai, dès que j’entendis dans l’avant-cour rouler la voiture qui venait les prendre, elle et la matrone chargée de l’accompagner, pour avoir affaire chez la surintendante, et me mettre à une de ses croisées donnant sur cette avant-cour. En sortant et en promenant autour d’elle un dernier regard, la pauvre enfant m’aperçut ; je n’oublierai jamais le reconnaissant sourire qui transforma tout à coup sa physionomie inquiète et illumina son visage fatigué par les veilles. Ses deux mains se levèrent de mon côté, puis se rapprochèrent comme si elle remerciait Dieu de m’avoir revue. — Dites à miss Weston que je lui écrirai dès que je serai placée, s’écria-t-elle an se retournant vers sa compagne, et tout exprès assez haut pour que ces paroles arrivassent jusqu’à moi… Puis elle monta dans la voiture, qui s’ébranla aussitôt. Sans cela, je crois qu’au risque de scandaliser l’honnête concierge Lockett, je serais descendue quatre à quatre, tant je me sentais attirée vers cette pauvre créature, livrée avec si peu de chances favorables aux terribles épreuves qui l’attendent encore.

Pendant les huit jours qui suivirent et qu’elle passa dans la lodginig-house, — où rien ne rappelle la prison, — elle ne mit pas une fois le pied dehors, bien qu’elle eût la libre disposition d’elle-même, sauf le soir, où elle devait rentrer à heure fixe. — Les rues, disait-elle, lui faisaient peur… Ses nerfs étaient comme ébranlés par le mouvement et le bruit dont elle avait été si longtemps sevrée. L’obligeante sous-directrice à qui je dus ces renseignemens me donna aussi le nom de la personne chez laquelle Jane a eu le bonheur d’entrer dès la fin de cette première semaine de liberté. Cette dame se nomme mistress Evans, et paraît avoir agi par esprit de