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terme du voyage, pour ne point risquer une découverte et un éclat prématurés. Ce fut seulement après l’arrêt du train — et au moment où le voyageur venait de remettre en poche, après en avoir extrait son billet, un porte-monnaie de bonne apparence, — que les opérations commencèrent. Notre compagnon, doué d’un certain embonpoint, se mouvait avec quelque peine. Barney, placé entre lui et la portière, lui offrit poliment son assistance, et tandis qu’il le soutenait d’une main, de l’autre, en deux temps, il le débarrassa de sa montre et du porte-monnaie en question. Ces deux objets me furent passés avec une rapidité merveilleuse, et Barney promptement descendu s’en alla d’un côté, tandis que je m’éclipsais dans la direction opposée, et que notre honnête victime s’acheminait paisiblement derrière le wagon chargé de ses bagages.

« Rendez-vous était pris dans le domicile commun, où je trouvai Black-Barney fort impatient de me revoir, plus impatient encore de vérifier le butin que je rapportais sans m’être permis d’y jeter le moindre coup d’œil. — Je dois dire qu’il m’accueillit avec une certaine méfiance, — et j’ajouterai que c’était me méconnaître, — comme si j’eusse voulu lui faire tort, à lui, de la moindre bagatelle ! »

L’autopsie du porte-monnaie, savamment ajournée par Black-Barney après l’examen de la montre et de ses accessoires, fut pour les deux complices l’occasion d’un éblouissement triomphal. Quatre-vingt-cinq livres en banknotes, une centaine environ, y compris l’appoint monnayé, constituaient une prise de premier ordre. Black-Barney en sautait de joie ; Jane au contraire prenait déjà peur et lui suggérait l’idée d’aller sans retard changer les billets, vendre la montre : — Enfant, lui dit Barney quand il eut repris quelque sang-froid, ce n’est pas ici, c’est à Londres que ces précautions doivent être prises ; mais en attendant pas un mot !… Et de fait, cet homme si volontiers bavard, si porté aux fanfaronnades, garda rigoureusement le secret de sa bonne fortune aux habitués du close qu’il habitait. Le soir même il solda toutes les menues dettes qu’il avait contractées, et après une nuit passée à combiner l’emploi de leurs futurs loisirs, nos deux associés partirent de grand matin pour Londres, où Jane allait se trouver pour la première fois de sa vie. Les quinze jours qui suivirent sont restés dans ses souvenirs comme un rêve splendide. Vêtue de soie, promenée en voiture, passant ses journées à Richmond, à Greenwich, à Gravesend, ses soirées dans les divers théâtres, elle aspirait pour ainsi dire par tous les pores ce luxe dont elle n’avait jamais cru qu’il lui fût possible d’approcher, et ces jouissances qu’aucun remords ne troublait. A l’heure qu’il est, et malgré le réveil de sa conscience tant de fois stimulée,