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de la croire une pauvre orpheline réduite à vivre de son travail, — comment elle n’avait pu se résoudre à le tirer de cette favorable erreur, — enfin, l’étranger se montrant peu à peu disposé à lui offrir sa main, comment elle s’était décidée à profiter de son aveugle entraînement, de sa crédule ignorance. Beaucoup d’autres, moins dépravées que l’amie de Jane, n’auraient pas eu plus de franchise. Maintenant elle s’en trouvait punie, non par le remords il est vrai, mais par la crainte continuelle où elle était de voir son passé tout à coup révélé à ce trop confiant époux. N’ayant pu le déterminer à quitter Glasgow, où le retenaient des travaux avantageux, elle sortait le moins possible, et, l’ayant tout exprès déterminé à se loger dans un quartier perdu, elle évitait de se montrer avec lui partout où elle aurait pu rencontrer quelque témoin, quelque complice de sa coupable jeunesse. Il eût été bon de s’en tenir à ces explications très suffisantes, et que Jane acceptait de fort bonne grâce, enviant peut-être le bonheur de son ancienne amie, mais toute disposée à respecter le mystère dont celle-ci s’entourait à bon droit. Mary cependant n’était qu’à moitié satisfaite. Pour qu’elle le fût complètement, il fallait que Jane, déjà éblouie de sa bonne chance, l’eût vue dans cet intérieur conjugal dont elle lui vantait l’élégance et le comfort. L’occasion était favorable, l’heure propice. Pour ce jour-là seulement, Jane y serait admise en l’absence du mari : vanité d’une part, curiosité de l’autre devaient finir par s’entendre. Une fois chez Mary, qui étalait ses nouvelles splendeurs avec une complaisance bavarde, nos deux amies oublièrent facilement à quel danger elles s’étaient exposées de gaîté de cœur. Elles causaient encore lorsque le maître du logis, inopinément revenu, les surprit en tête-à-tête. Jane eut peine à dissimuler son émoi, que le brave charpentier mit sur le compte de la timidité naturelle au jeune âge. Mary, puisant une certaine assurance dans la difficulté même de sa situation, trouva sur-le-champ les mensonges qui devaient expliquer la présence d’une inconnue, — d’une inconnue aux dehors équivoques, — dans le domicile de l’honnête Simmons. Celui-ci, chez qui aucune méfiance n’était en éveil, les accepta tous. Il crut au faux nom qu’on lui donna, et se laissa persuader que sa femme lui présentait une ancienne camarade d’atelier, irréprochable d’ailleurs, mais réduite à chercher des secours. Jane au surplus s’éclipsa presque aussitôt, espérant bien que, grâce à cette prompte disparition, elle ne laisserait d’elle au mari de son amie aucun souvenir bien net.

Cependant quelques jours après, en traversant seul High-street, il la reconnut au bras d’Annette Ryan, et ce ne fut pas sans une grande surprise, car il était difficile de se méprendre sur le compte