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voulut recourir à la violence pour se faire obéir : elle eut bientôt à le regretter, car elle n’était pas la plus forte et se vit expulsée du domicile commun. — C’est bon, c’est bon, dit-elle en le quittant, vous ne serez pas longtemps à retourner sous les verrous. L’exaltation de sa victoire soutint Jane pendant un jour ou deux, puis l’ennui la prit, et d’ailleurs un loyer de quinze pence par semaine lui parut trop lourd pour ses ressources, fort diminuées depuis qu’on ne voulait plus travailler avec elle. Glasgow lui devint odieux. Elle partit — à pied et pieds nus, faute de pouvoir prendre un billet de chemin de fer, — pour l’ancienne capitale du royaume écossais. A Edimbourg, mille déceptions l’attendaient. Elle ne connaissait pas la ville, et l’avantage d’y être inconnue ne compensait pas les difficultés qu’elle eut à s’y créer des relations d’un certain ordre. On se moquait de son accent, ce qui la jetait hors des gonds ; puis elle trouvait là beaucoup moins de population flottante, beaucoup moins de ces oiseaux de passage, — marins anglais, espagnols, américains, — qui viennent débarquer directement à Glasgow et dont on exploite aisément les instincts aventureux. D’ailleurs Jane était arrivée à cet état de malaise intérieur et d’inquiétude permanente où on ne peut plus se fixer nulle part. Malgré les risques inhérens à cette détermination, elle voulut revoir son vieux Glasgie et faillit s’attendrir en se retrouvant au milieu des magasins de Salt-Market. Elle y retrouva Mary Loggie, qui venait d’achever son temps, et dont l’amitié vivace ne s’était en rien altérée depuis leur séparation. Les deux amies n’hésitèrent pas un moment à se réunir pour reprendre ensemble leur ancien métier. Cette alliance ne dura guère ; une espèce de loi providentielle les condamnait à n’être jamais libres en même temps. Cameron fut arrêtée presque aussitôt ; le complice du vol dont elle avait été reconnue coupable passa devant une cour supérieure. Jane elle-même, qui s’attendait, vu la récidive, à un an de prison, fut condamnée au double de ce temps. « Bien que le cœur me manquât, disait-elle, je fis bonne contenance, car un grand nombre d’amis étaient venus me voir juger ; mais, une fois dans ma cellule, la perspective de ces deux années me donna littéralement le frisson. »

Cet effroi n’impliquait aucun repentir. Ses plans étaient arrêtés d’avance ; elle s’était promis, tout en se conduisant le mieux possible, de n’écouter qu’à bon escient les exhortations dont on allait lui rebattre les oreilles. Garder strictement les apparences, ne se permettre aucune révolte, puisque toute révolte serait punie, travailler de bonne grâce, suivre strictement la règle, se concilier le bon vouloir des supérieurs, tout ceci rentrait dans son programme ; mais elle entendait bien aussi garder intacte sa liberté intime, et