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si la condamnation de la mère est à long terme, — l’enfant est souffert près d’elle jusqu’à l’âge de quatre ans, pareilles exceptions demeurant d’ailleurs facultatives.

La pitié que m’inspirent ces innocens captifs ne m’empêche pas de reconnaître qu’ici — comme ailleurs, et dans des conditions quelquefois bien moins tolérables, — cet âge heureux conserve ses privilèges imprescriptibles, son insouciance légère et sa gaîté contagieuse. Je constate aussi que nos convicts sont généralement des mères assez tendres et assez soigneuses. Sans que le règlement soit modifié en leur faveur d’une manière explicite, on leur concède dans la pratique certains adoucissemens. Elles se lèvent plus tard, on n’exige point d’elles la même somme de travail ; leur régime alimentaire est adapté aux nécessités de l’allaitement. Quant à l’enfant de prison, un peu plus pâle, plus délicat et plus chétif que les gamins de la rue qui viennent, à travers la grille extérieure, le voir jouer dans la cour d’entrée, il manifeste assez fréquemment une intelligence vive et subtile, une sagacité au-dessus de son âge et qu’on pourrait croire un don de naissance. La jalousie maternelle dont il est l’objet va quelquefois un peu loin, si j’en juge par l’aventure d’une de mes collègues, frappée rudement au visage alors qu’elle se baissait pour embrasser la fille d’une de nos condamnées. En revanche, j’ai vu l’une de ces femmes s’inquiéter bien plus vivement des infidélités de sa pal que des progrès faits par une étrangère dans l’affection de son enfant.

Ces détails me ramènent tout naturellement à l’humble héroïne de ce trop véridique récit. En dépit de tout ce qui pourrait et devrait me rebuter, elle m’inspire toujours un vif intérêt, et je ne veux désespérer d’elle à aucun prix. En quelle passe critique ne l’avons-nous pas laissée ! Dénuée de tout secours, privée de sa fidèle compagne, réduite à recevoir l’aumône de ceux qui la sollicitent, suspecte, justement suspecte à une police implacable, et, malgré la misère qui l’y assiégeait, retenue chez elle par les soins que réclamait impérieusement le nouveau-né, Jane, en cette extrémité, dut songer à la maison de travail ; mais ces établissemens, qu’on redoute de voir trop aisément encombrés et dont la prudence administrative a voulu rendre le séjour aussi peu attrayant que possible, sont par là même investis d’un fâcheux renom. Les mendians au milieu desquels vivait Jane la détournaient d’une résolution selon eux désastreuse. Si jeune et déjà mère, n’intéresserait-elle pas tous ceux qui la verraient réduite à tendre la main pour elle et son enfant ? .. Fallait-il laisser perdre le bénéfice d’une pareille situation ? .. Un soir, malade encore et se traînant à peine, la pauvre fille se laissa persuader. Elle n’avait pas la force de suivre les