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trahison. Le manque de vivres et l’irrésolution naturelle chez des officiers qu’un pouvoir absolu n’a pas accoutumés à savoir prendre une décision suffisent pour l’expliquer. Le maréchal Lopez s’est plaint, et avec raison, paraît-il, de la manière dont ses soldats prisonniers auraient été traités par les alliés. Au Brésil, on les aurait employés aux travaux les plus pénibles ; dans les républiques, on fit plus encore ; on les incorpora de force dans des bataillons formés de prétendus réfugiés ou exilés paraguayens. La plupart moururent de misère et de nostalgie, quelques-uns désertèrent et purent regagner leur pays. Cette conduite barbare et contraire à toute morale contraste avec l’humanité que le président du Paraguay semble avoir témoignée à l’égard des prisonniers alliés.

La destruction totale du corps de l’Uruguay, la réunion des forces alliées, la tranquillité des populations argentines rendaient désormais impraticable le plan de campagne médité par le maréchal Lopez. Déjà l’escadre brésilienne essayait de dépasser Corrientès. Contrainte de reculer devant les batteries élevées à Cuevas, elle menaçait de nouveau de forcer le passage. Le maréchal Lopez se décida donc à se retirer sur son territoire, où il attendrait l’ennemi. Le 21 octobre 1865, il évacua Corrientès ; le 4 novembre, après avoir démantelé les batteries de Cuevas, ses troupes étaient toutes rentrées au Paraguay, où il s’occupa de les réorganiser et de leur amener de nouvelles recrues. Aux termes du traité du 1er mai 1865, demeuré longtemps secret, les alliés s’étaient engagés à ne pas traiter de la paix tant que le président Lopez serait au pouvoir. Il était entendu que les territoires contestés seraient rendus au Brésil et à la république argentine, que le Paraguay, ainsi diminué, verrait ses forteresses rasées, ses arsenaux détruits et surtout ses institutions politiques complètement modifiées. Les alliés restaient décidés à désorganiser cette puissance militaire, qui venait de se révéler d’une façon redoutable entre les mains d’un pouvoir absolu, et dont le maintien les eût contraints de leur côté à entretenir des armées permanentes plus considérables. On remarquera qu’à Rio ce fut le parti libéral avancé, dont faisait partie le représentant brésilien auprès des deux républiques signataires du traité d’alliance, qui poussa le plus vigoureusement à la guerre malgré les dépenses qu’elle entraînait et les embarras du trésor. Aucun des partis qui ont lutté à Buenos-Ayres ne sembla non plus désapprouver la continuation des hostilités. Il fut donc résolu qu’on envahirait le territoire ennemi, et qu’une fois le président Lopez amené à merci, le Paraguay serait doté d’institutions politiques analogues à celles des républiques voisines. On ne s’inquiéta pas de chercher si ce changement radical conviendrait au tempérament du peuple paraguayen.