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contiendra cent cinquante soldats, comme cinq cents voitures suffiront à emporter soixante-quinze mille hommes, en occupant les deux voies d’aller et de retour rendues libres par dépêche télégraphique, en faisant précéder d’une locomotive pilote, pour prévenir tout accident, chacun de ces deux immenses convois parallèles, composés de plusieurs trains partiels qui se suivront de près, alors, croyons-nous, on ne sera pas loin d’effectuer en un ou deux jours des mouvemens de troupes qui en demanderaient près de quinze aujourd’hui encore. Quelle différence dès lors entre notre guerre et celle du premier empire, où l’admirable conversion de l’armée française autour d’Ulm, considérée à juste titre comme un prodige de précision et de célérité, ne s’accomplit qu’au prix d’un mois environ de marches forcées ! Quelle différence même à un autre point de vue avec la guerre actuelle, dont les préparatifs interrompent toute espèce de circulation sur les voies ferrées, circulation de voyageurs, circulation de marchandises, dont les préliminaires, en un mot, contribuent presque autant que la lutte elle-même au ralentissement du commerce, à la suspension de la vie intérieure. Étant donné le moyen de transporter en quarante-huit heures, sur n’importe quel point de la frontière, une armée entière, pourquoi le ministère de la guerre, au détriment de tous les intérêts matériels et moraux du pays, accaparerait-il un mois ou trois semaines d’avance la circulation d’une partie des voies ferrées ?

Utilité non moins grande avant l’action que dans l’action même de la guerre, voilà donc en résumé les mérites de cette innovation qui, nous en sommes persuadé, s’accomplira tôt ou tard.

Ce jour-là, de même qu’on voit les guerres qui duraient anciennement des années ne durer que des mois, on verra celles qui durent actuellement des mois ne durer que l’espace de quelques journées. Disons toute notre pensée ; on verra la guerre non-seulement devenir plus courte, mais plus difficile, partant plus rare entre les grandes puissances. Si on a suivi d’un œil attentif les perfectionnemens introduits dans l’armement naval, on a dû faire cette réflexion, que tous ces perfectionnemens pouvaient s’appliquer, sur une plus grande échelle et avec une supériorité facile à comprendre, à la défense du littoral. En effet, quelle que soit l’épaisseur des cuirasses dont on arrive à envelopper les flancs des navires, on pourra toujours adapter aux fortifications d’un port ou d’une rade des cuirasses dix fois, vingt fois plus épaisses, puisqu’il n’y a pas sur terre comme sur mer une limite de poids à observer. Pour la même raison, on ne pourra jamais armer un bâtiment de pièces d’un calibre aussi considérable, c’est-à-dire capables d’aussi terribles effets que celles dont on garnit les côtes en Amérique, en France, en Prusse et un peu partout. Le poids de ces canons monstrueux, qui lancent des boulets coniques et oblongs d’acier du poids de deux ou trois hommes, en interdit l’usage à toute espèce de navires. Ainsi, par une nécessité évidente, la cuirasse des vaisseaux offrira toujours moins de résistance que le blindage des batteries de terre, l’artillerie navale moins de