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complète dégénération de l’art[1]. » C’est là une erreur considérable. Avec la mosaïque comme avec la faïence, on obtient des peintures murales bien autrement décoratives que toute autre ; elles présentent ce sentiment de la durée qui crée les grandes choses et manque à la fresque ; celle-ci d’ailleurs ne fut pas abandonnée pour cela. L’architecture, loin d’avoir une prodigalité d’ornemens confus et capricieux, était au contraire d’une élégance, d’une grandeur, d’une hardiesse, d’une science mathématique et statique profondes. Les ornemens provenaient d’études physiques remarquables, du calcul le plus élevé et de l’ordonnance géométrique la plus habile. Nous insistons sur ce point, que nous prouverons plus loin par des observations irréfutables. On méconnaît surtout l’art byzantin parce qu’on ne le compare qu’à l’art grec et qu’on l’en suppose dérivé. Ce nom d’empire grec n’a pas peu contribué à accréditer cette opinion de l’influence grecque sur Byzance. Les Grecs du bas-empire étaient des Orientaux ; ils n’avaient aucune ressemblance morale avec les Grecs de l’antiquité, ils n’en acceptaient même pas le nom : ils s’appelaient fièrement Ρωμαίοι. Constantinople, pour tous les écrivains et pour les chancelleries, était la nouvelle Rome. L’immortelle Grèce elle-même, la Grèce de Périclès et de Phidias, porte encore aujourd’hui le nom de Roumélie. Qu’on ne fasse donc pas de confusion contraire à l’histoire. Les populations agglomérées autour du Bosphore par une de ces mesures violentes de colonisation qui étaient dans les habitudes des Romains se composaient des élémens les plus hétérogènes empruntés, outre l’Italie, à toutes les provinces de l’empire et naturellement à celles qui étaient les plus voisines, C’est-à-dire la Perse et l’Asie. Si l’idiome grec y dominait, c’est que le grec, comme aujourd’hui le français, était alors une langue universelle, ce qui n’empêche pas que l’immortel code de Justinien, rédigé quatre siècles après la fondation de Constantinople, ne soit écrit en latin. Assurément nous ne nions pas que dans l’architecture byzantine on ne trouve des souvenirs romains ; mais la plupart avaient été déjà empruntés à l’Asie. Aristophane nous apprend que les tentures, les étoffes et les meubles venus de Perse avaient introduit en Grèce une multitude d’idées nouvelles et bouleversé les habitudes et les traditions d’ornementation intérieure. On y vit apparaître les animaux fantastiques, les arabesques bizarres, les enroulemens et les rinceaux compliqués. Il en fut de même à plus forte raison dans l’art romain au temps d’Auguste. On retrouve à Herculanum et à Pompéi non-seulement ces ornemens dits grotesques, parce qu’ils décoraient les grottes et les salles

  1. Viardot, Musées d’Europe.