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donné toute l’extension possible à l’application militaire des chemins de fer, cette lenteur ne tiendrait-elle pas à l’absence d’une organisation spéciale dont nous allons essayer de fixer les caractères essentiels et de montrer l’utilité ?

Nous le croyons si bien que la question n’est réellement pas, selon nous, de savoir si le rôle des chemins de fer dans une grande guerre se borne nécessairement à amener les différens corps d’armée à leurs postes respectifs et à les approvisionner avec rapidité, ou s’il n’ira pas jusqu’à rendre possibles, au fort même de la lutte, des déplacemens de troupes, considérables, inattendus, qui dérouteront l’ennemi, et du jour au lendemain ruineront ses plans. Il ne nous semble pas qu’on puisse différer d’avis là-dessus. La vraie question est de savoir si les chemins de fer ont reçu, si leur matériel possède quelque part, chez nous, en Italie ou ailleurs, une organisation spéciale, exclusivement militaire, sans laquelle ils ne rendront jamais qu’une partie des services qu’ils sont capables de rendre, et qu’on leur demandera peut-être plus tôt qu’on ne pense. Nous croyons pouvoir répondre négativement, et nous nous expliquons.

Aussi brièvement qu’on peut le poser, quel est le problème à résoudre ? Transporter avec le moins d’embarras, de bruit et de retard le plus grand nombre de troupes possible sur un point donné. En d’autres termes, pour arriver à l’un de ces résultats que doit ambitionner tout général énergique, le déplacement d’une armée ou d’une partie de cette armée doit être facile, rapide et secret, toutes conditions qu’il n’est pas possible de réaliser avec le matériel ordinaire des compagnies.

S’il ne s’agissait que des chevaux et de l’artillerie, on pourrait déjà montrer que les trains de marchandises connus de tout le monde sont insuffisans pour faire face aux besoins d’une situation pressante[1]. Toutefois on se passe à la rigueur de cavalerie et de canons pour tenter une surprise, un coup de main hardi : les positions prises par l’infanterie et la nouvelle base d’opérations occupée par elle, on peut attendre sans trop de préjudice l’arrivée des armes qui, par leur nature, se prêtent plus difficilement aux exigences d’un transport immédiat ; mais on ne se passe pas de l’infanterie, et c’est d’elle qu’il s’agit d’abord. Les wagons, nous prenons naturellement ceux de troisième classe pour exemple, ne contiennent en moyenne que

  1. Nous n’avons pas insisté sur la nécessité de trains spéciaux pour le transport de la cavalerie et surtout de l’artillerie de campagne, mais nous sommes loin de la méconnaître. Nous voudrions qu’une pièce de campagne pût n’importe où se monter et se démonter rapidement, et qu’une batterie n’occupât en moyenne que six wagons, un pour les canons, un pour les affûts, un pour les roues, les autres pour les hommes et les caissons. L’artillerie participerait alors de la mobilité des troupes de ligne, et pourrait les suivre dans toutes leurs évolutions sur les chemins de fer. Il n’y aurait pas de comparaison possible avec le transport actuel, dont nous citerons ce fait récent, qu’avant la guerre la dernière batterie de la garde royale prussienne demandait trente-neuf wagons à elle seule pour son déplacement.