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inutile, impossible peut-être, de s’aider des voies ferrées qu’on aura sous la main ; mais si la guerre se fait sur une grande échelle, si la superficie des lieux et le déploiement des forces mises en présence veulent que, le théâtre s’élargissant, l’action prenne des proportions très étendues, peut-on douter que le voisinage d’une grande ligne, à l’abri d’un coup de main ennemi, puisse être du plus précieux secours pour un général innovateur et déterminé ? Qu’il désire arriver vite en face d’un adversaire engagé dans un mauvais pas, et opérer contre lui, autour de lui, une concentration de forces écrasante, ou bien qu’il veuille en une nuit lui échapper parce qu’il se sent trop faible, parce qu’il se trouve placé dans des conditions désavantageuses, dans l’un et l’autre cas le chemin de fer ne lui offre-t-il pas cette double ressource d’épargner la fatigue à ses troupes et d’exécuter le mouvement avec une rapidité qui assure le succès ?

Nous ne voyons rien là que de très rationnel et de très possible, et cependant, si on demandait à l’appui de notre thèse des exemples concluans, nous serions forcés d’avouer qu’il n’en existe à notre connaissance qu’un seul d’une sérieuse valeur. Si nos souvenirs sont fidèles, c’est au chemin de fer d’Alexandrie que l’empereur Napoléon III, au début de la campagne d’Italie, a dû de pouvoir opérer sur la droite des Autrichiens un remarquable mouvement stratégique, qui porta en quarante-huit heures notre armée de Voghera à Verceil, de la rive droite du Pô sur la rive gauche, à vingt ou vingt-cinq lieues du point de départ, pour y menacer les lignes du général comte autrichien Giulay. Surpris par cette brusque arrivée, celui-ci n’eut que le temps de se retirer sur Magenta, où il comptait arrêter, mais n’arrêta pas la marche de nos troupes.

Nous ne sommes pas moins obligé de reconnaître que ni de cette campagne de 1859, ni de la guerre d’Amérique, ni même de celle de 1866, il ne ressort d’enseignement positif à cet égard, nous disons d’enseignement positif, c’est-à-dire d’où l’on puisse légitimement déduire des conclusions certaines et des règles pratiques pour la conduite des campagnes à venir[1]. Qu’importe ? En guerre comme en toute chose, nous l’avons dit, l’innovation est une force, et, pour être nouvelle, une tactique n’en est que plus profitable au premier qui l’emploie. D’ailleurs, si on ne semble pas avoir

  1. Cependant il faut reconnaître que les Prussiens ont su tirer un parti tout aussi avantageux des chemins de fer que de la télégraphie électrique : l’application qu’ils en ont faite a emprunté quelque chose de nouveau à la forme et aux développemens sous lesquels elle s’est produite. Il est avéré qu’ils avaient amené a la suite de leurs corps d’armée, notamment de l’armée du Mein, de véritables bataillons d’ingénieurs, de mécaniciens et même de chauffeurs. Sur leur passage, ils recrutaient les employés des chemins de fer dont le service était interrompu. A mesure qu’ils avançaient, ils faisaient reconstruire les voies ferrées pour rétablir les communications avec Berlin ; une fois les rails posés, les mécaniciens se rendaient à la plus prochaine gare, et revenaient avec des locomotives et des wagons pour faire le service. Les Prussiens avaient aussi dans leur train militaire tout un matériel de ponts de chemins de fer, que le génie reconstruisait là où l’on avait fait sauter les petits ponts en pierre.