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trouée que les chemins de fer de Saxe et de Silésie font, l’un au travers des monts de Lusace, l’autre au travers des monts des Géants. Sans tirer de conclusion trop formelle d’un fait qui n’est pas suffisamment établi, il est néanmoins facile de comprendre que des rapprochemens matériels, créés d’état à état par la construction des chemins de fer, il peut résulter pour l’invasion des facilités particulières. Quelle était jadis la première barrière qu’un pays opposait à ses envahisseurs ? C’était sa ligne de défense naturelle, ses montagnes, ses fleuves, tous les accidens de son sol. Aujourd’hui les frontières ou les lignes de défense purement naturelles peuvent être considérées comme supprimées ou singulièrement affaiblies par le passage des voies ferrées. La séparation qui venait de la configuration topographique du sol n’existe pas plus que celle qui venait de la distance. Les grands ouvrages exécutés soit pour combler les ravins, soit pour unir par des viaducs gigantesques les bords de vallées profondes, soit enfin pour gravir par des pentes ménagées les flancs des montagnes, ou pour en percer la base, peuvent devenir à l’occasion autant de routes tracées à l’ennemi, autant de portes ouvertes à ses irruptions. C’est ce que la marche suivie par les Prussiens pour pénétrer dans le quadrilatère de la Bohême pourrait jusqu’à un certain point servir à prouver.

Voilà démontrée et expliquée dans ses traits les plus généraux l’importance des chemins de fer dans la guerre. Doit-on croire qu’ils aient dit leur dernier mot dans ce rôle spécial, et ne peut-on pas inférer des services qu’ils ont rendus : ceux qu’ils pourraient être appelés à rendre ? Ne peut-on pas chercher si, plus particulièrement utilisés jusqu’ici avant et après l’action, ils ne sont pas capables, comme la télégraphie électrique, de coopérer directement à l’action même de la guerre ? Essayons.

Il est certain, il est notoire pour ceux même, qui ne sont qu’à moitié familiarisés avec la conduite des opérations militaires que la rapidité dans la marche, que la soudaineté dans les changemens de front, que la facilité enfin et la promptitude dans toutes les grandes évolutions stratégiques sont autant de conditions essentielles du succès. « La victoire est dans les jambes des soldats, » disait Napoléon, qui leur faisait souvent accomplir de véritables prodiges. Il était tellement pénétré de ce principe qu’il recourait, dans les occasions pressantes, aux moyens artificiels pour imprimer plus de célérité aux mouvemens des troupes : en 1805, il mettait en réquisition, les chaises de poste pour transporter sa garde dans le plus bref délai sur les derrières de l’armée autrichienne postée à Ulm. Or il est évident que si on pouvait au fort de la guerre, et aussi souvent que les circonstances l’exigeraient, remplacer la marche des troupes par leur transport, non plus en chaises de poste, mais en wagons et par la vapeur, des combinaisons stratégiques deviendraient possibles, auxquelles il est interdit de songer dans les conditions ordinaires de locomotion.

Sans doute, si l’action se passe et que les mouvemens s’accomplissent dans un espace borné, dans un rayon de quelques kilomètres, il sera