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Le spectacle de la guerre récente, plus rapproché de nous, est encore plus instructif. C’est sur la possession des lignes de chemin de fer autant que sur celle des places fortes que les belligérans semblent baser leurs opérations ; c’est le long des chemins de fer que les armées s’avancent, près des chemins de fer qu’elles prennent position, et par conséquent qu’elles en viennent aux mains. Toute ville où se bifurque une ligne, où s’embranchent plusieurs voies ferrées, devient par là même un objectif de l’attaque ou de la défense. Citons les faits. L’armée autrichienne du nord s’échelonne primitivement sur la grande ligne qui s’étend en arc de cercle de Prague à Olmütz, et de là à Cracovie ; grâce à cette disposition, elle peut se concentrer rapidement sur le point quelconque de la frontière où l’agression se démasquera. Particularité plus significative et plus curieuse, la marche combinée des Prussiens se calque presque exactement sur le tracé des deux chemins de fer qui mènent de Saxe et de Silésie en Bohême. Qu’on jette les yeux sur la carte, on verra que deux lignes, l’une qui de Littau passe à Reichenberg, l’autre qui de Landshut s’en vient courir dans la vallée de l’Aupa, se réunissent ou s’embranchent en formant un angle aigu à Josephstadt. Elles marquent, à peu de chose près, l’une, la direction prise par l’armée de l’Elbe, l’autre, la direction suivie par l’armée de Silésie : leur point d’embranchement n’est même pas sensiblement éloigné du théâtre où devait s’effectuer la jonction des troupes du prince royal avec celles du prince Frédéric-Charles. Quant aux combats préliminaires livrés par l’une et l’autre armée en vue d’opérer cette jonction, ils ont pour théâtres Turnau et Gitschin, Trautenau, Nachod et Skalitz, c’est-à-dire des localités sises sur le parcours même ou à peu de distance des deux lignes en question. Enfin, tandis que les Prussiens vainqueurs négligent toutes les places fortes, n’entament le siège ou n’essaient l’attaque ni de Theresienstadt, ni de Josephstadt, ni de Koeniggratz, ni d’Olmütz, tout leur plan tend visiblement à couper par des marches rapides les voies ferrées qui peuvent relier Vienne à un point quelconque de la Bohême et de la Moravie. Pardübitz, où la voie unique formée à Josephstadt des chemins de fer de Silésie et de Saxe s’embranche sur la grande ligne qui relie Prague à Olmütz d’un côté et à Vienne de l’autre, Bœmisch-Trubau, où s’opère cette bifurcation, Lündenbourg, où se rejoignent les deux lignes de la Moravie qui mettent Vienne en communication avec Olmutz, telles sont les étapes successives qui marquent de la part des Prussiens des intentions stratégiques bien arrêtées.

En dehors de la question du transport et du prompt ravitaillement des troupes, de l’intérêt par conséquent que les belligérans ont à se saisir des chemins de fer, soit pour s’en approprier les avantages, soit pour en priver l’ennemi, le plan de campagne prussien n’est-il pas de nature à révéler encore d’autres modifications introduites dans la stratégie continentale par le seul fait de l’établissement des nouvelles voies ? La double entrée des Prussiens en Bohême semble s’être opérée en partie par la double