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Comment, c’est ce qu’il serait assez facile de déterminer en s’appuyant sur des souvenirs présens à tous les esprits attentifs, et sur les faits récens que la publicité quotidienne a portés à la connaissance de chacun.

À l’ouverture de la campagne de 1859, une armée française fait son apparition sur les bords du Pô, lorsqu’on pouvait la croire encore en voie de formation. Quelle était la cause de cette célérité peu habituelle communiquée aux opérations préliminaires d’une campagne, concentration des troupes, réunion des régimens en corps d’armée, conduite de cette armée aux lieux de l’attaque ou de la défense ? Le lecteur a déjà répondu pour nous : la marche des troupes avait été remplacée par le transport, et ce transport s’était effectué par les chemins de fer. De cette façon, le soldat avait presque fait en une heure le chemin qu’en d’autres temps il aurait mis un jour à faire. Ce n’est pas tout ; les hostilités engagées, on peut remarquer un fait qui se reproduira avec de plus grandes proportions pendant la guerre de 1866, et ressortira comme un des principaux enseignemens de la stratégie des Prussiens dans leur marche en Bohême et sur Vienne : c’est le soin que les belligérans mettent à s’assurer de la possession des chemins de fer. Ainsi il est facile de voir que la plus grande partie des batailles s’engage déjà sur le parcours des voies ferrées : Montebello, Magenta, Buffalora, San-Martino, Marignan, sont autant de gares de chemins de fer. L’importance de la possession de ces voies pour les armées s’explique d’elle-même. Les chemins de fer, qui remplacent avant la guerre la marche des troupes par leur transport, peuvent se substituer pendant la guerre aux anciennes routes, aux anciens convois, aux anciens équipages, avec l’incomparable supériorité que donnent et la vapeur et une organisation régulière et un nombreux matériel. Comme moyens de communication et de transport, ils offrent donc toute sorte d’avantages aux belligérans que leur position et la géographie des lieux mettent dans l’heureuse nécessité de s’en servir.

La sécession éclate en Amérique. Nouvelle guerre, nouvelle importance prise par les chemins de fer. Ils jouent un rôle très actif dans la stratégie américaine, et lui donnent un caractère tout nouveau dans l’histoire de la guerre par la rapidité inouïe des opérations. L’interception ou l’occupation des voies ferrées, l’attaque des convois, deviennent un art où fédéraux et confédérés rivalisent d’habileté et d’audace. Rappellerons-nous qu’un des buts principaux du général Sherman, dans sa fameuse campagne au milieu de la Géorgie et de la Caroline du Sud, paraît avoir été de détruire sur son passage tous les railways ? N’était-ce pas en effet couper les artères qui, des organes les plus éloignés du camp confédéré, apportaient incessamment au cœur, c’est-à-dire à Richmond, un reste de sang et de vie ? N’était-ce pas surtout supprimer pour Jefferson Davis et pour Lee, en même temps que tout espoir d’échapper à l’étreinte savamment calculée de Grant, toute possibilité de déplacer subitement le théâtre de la lutte, et de jouer sur un autre terrain leur dernière partie ?