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et de mobilité, un service et une installation qui n’existent pas. Telle était dans la guerre de 1866 la tâche des Prussiens, qui avaient pris l’initiative de l’attaque et pénétré en Bohême. Aux Prussiens encore revient l’honneur d’avoir eu les premiers l’idée de l’organisation très simple qu’il suffit d’adopter pour assurer aux troupes en marche tous les avantages qui caractérisent le plus rapide des modes de communication. Laissons la parole au correspondant du Times, qui a suivi l’état-major prussien dans la campagne de Bohême :

« Partout où s’arrêtait l’armée, on se hâtait d’installer le télégraphe et la poste. Ces deux organisations méritent d’être décrites, la première surtout. Dès que le lieu du quartier-général est désigné, la division télégraphique se rend à la plus prochaine station du télégraphe permanent. De là elle établit un fil le long du chemin le plus court jusqu’à la demeure du général en chef, qui, à peine arrivé, trouve ainsi son télégraphe prêt à fonctionner. Il est difficile de concevoir une plus ingénieuse application de la science à l’art de la guerre. Tout l’appareil est contenu dans deux chars légers, dont l’un contient les batteries et les aiguilles et sert de cabinet au télégraphiste, tandis que l’autre renferme les perches, les fils et les outils nécessaires pour les placer. Les fils sont roulés autour de grandes bobines mobiles, et se dévident à mesure que le char avance. Quand on pense que le 23 au matin la frontière était encore occupée par les Autrichiens, et que le 24 à midi le château de Grafenstein, situé à cinq milles de la station la plus rapprochée, était en communication télégraphique directe avec Berlin, on peut s’imaginer quel avantage cet appareil peut procurer à une armée en campagne. »

Nous n’ajouterons rien à l’éloge que le correspondant du Times fait implicitement de l’entente des Prussiens dans l’application de la science à la guerre. Nous ne nous sommes pas fait faute d’expliquer que là nous semblait être l’avenir de l’art militaire. Ce que nous devons faire remarquer, c’est que le problème de la communication télégraphique dans le cas de l’offensive ou de l’invasion n’est résolu qu’à moitié. Il suffit en effet de se reporter et aux détails de l’installation si clairement décrite, et aux faits récens de la campagne de Bohême, pour découvrir le vice actuel de l’organisation prussienne. Ces perches et ces fils, faciles à apercevoir, à abattre ou à couper, sont exposés à toutes les entreprises dans un pays ennemi dont la population, sans prendre à la lutte une part effective, ne laisse pas échapper l’occasion d’exercer indirectement des représailles contre les envahisseurs. Rien n’est plus aisé que de détruire un aussi fragile matériel, qui se déploie à découvert sur un trop grand espace pour que la garde ou la surveillance en soit possible. C’est ce qui est arrivé en Bohême, où l’excitation des habitans contre le vainqueur s’est traduite à Trautenau et à Münchengraetz par de sanglans épisodes : le fait de l’interception par les paysans des communications télégraphiques des Prussiens sur les derrières de leur armée a été signalé à plusieurs reprises.