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même. Là comme ailleurs, ils ne se contentent pas de ce qui existe, ils cherchent à faire autrement et mieux, et il est impossible de méconnaître que peu de peuples comprennent aussi bien que dans cette concurrence d’inventions meurtrières la palme restera toujours au plus entreprenant ; peu de peuples ont mieux obéi, lorsque les circonstances l’exigeaient, à la nécessité que nous signalions tout à l’heure, d’avancer sans cesse. Quoi que nous imaginions aujourd’hui en bâtimens blindés et à éperons, en torpilles, en projectiles ou en calibrés énormes, nous ne trouvons rien, ce semble, qu’ils n’aient déjà trouvé, nous n’exécutons rien qu’ils n’aient déjà exécuté.

Après les avertissemens, les exemples, les leçons que fournit ou peut fournir l’histoire des dernières luttes qui ont agité l’Europe et ensanglanté l’Amérique, il est un point spécialement où il semble que la science militaire chez nous est bien lente à se prononcer. Nous voulons parler du rôle des chemins de fer et de la télégraphie électrique dans la guerre. Quels que soient les services déjà rendus, avant et pendant les campagnes, par ces instrumens de civilisation qui deviennent au gré de l’homme d’actifs instrumens de guerre, ne peuvent-ils pas acquérir encore plus de valeur et d’importance comme élémens stratégiques ? Ne peut-on pas non-seulement faciliter la continuation de leurs services, mais en faire une application nouvelle, plus étendue et plus directe, pendant l’action et sur le théâtre même de la lutte ? Si cela est possible, de quelle organisation spéciale faudrait-il doter les voies ferrées et la télégraphie pour être parfaitement en mesure, au cas échéant, de tirer tout le parti désirable de si puissans auxiliaires ?

Voilà des questions qui, pour être à l’ordre du jour, ne nous paraissent avoir été résolues ni en théorie par l’autorité des hommes spéciaux, ni en pratique par le témoignage concluant de faits décisifs. Nous hésiterions davantage à en aborder l’étude, si nous n’étions pas de ceux qui pensent que la guerre n’est nullement un art mystérieux, accessible aux seuls initiés. Selon nous, tout homme de bonne volonté, en s’appuyant sur le raisonnement et l’expérience, a le droit de dire son avis et de proposer ses idées en cette matière. En France moins qu’ailleurs, on peut craindre de le rappeler : le savoir ni la pratique ne font les généraux pas plus que le travail ne fait les poètes. C’est l’instinct naturel, c’est l’inspiration qui crée ceux-ci et ceux-là. Notre histoire en fait foi, les plus jeunes et les moins exercés ont été nos plus brillans capitaines. Nous ne pousserons pas cependant le dédain de la science et de la spécialité jusqu’à nous flatter d’offrir, par cela seul que nous ne sommes pas du métier, la solution définitive du double problème posé plus haut dans sa généralité ; mais à défaut d’autre mérite, nous espérons que ce sujet empruntera aux circonstances l’intérêt de l’actualité.