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les instrumens de travail, de l’usage auquel ils sont destinés. » L’ingénieux et délicat échafaudage du crédit repose sur la monnaie métallique qui en précise la valeur, qui en soutient les mouvemens. Pour s’élever, il a besoin que cette base soit ferme, que rien ne risque d’en ébranler la massive solidité. Bien imprudens sont ceux qui, sous prétexte de favoriser le crédit, lui enlèvent un support indispensable, et sacrifient à la facile création des billets abandonnée à la concurrence la condition la plus essentielle d’un crédit vigoureux, la stabilité, la fixité, la sincérité du mécanisme monétaire !

L’act de 1844 a pour but unique de fortifier ce mécanisme, de le rendre inébranlable ; aussi, malgré quelques lacunes que nous avons été des premiers à signaler, le regardons-nous comme une œuvre admirable, comme étant le titre le plus glorieux de sir Robert Peel, avec l’act qui a consacré le rappel des lois sur les céréales et ouvert la porte au free-trade.


III

Cependant c’est au nom même du free-trade, en vertu du principe sacré de la liberté de l’industrie, que l’on s’attaque au principe posé par sir Robert Peel. La fabrication des billets de banque n’est point une industrie, elle échappe aux lois de la concurrence ; une fausse assimilation avec la lettre de change ne suffit point pour enlever au billet le caractère essentiel qui le distingue, celui de servir de monnaie. Sur le premier point, nous nous bornerons à rappeler que Tooke, le plus autorisé des adversaires de l’act de 1844 quant à la séparation des deux départemens, a combattu énergiquement dans son grand ouvrage, l’Histoire des prix, la pensée que l’émission des billets doive être livrée à la concurrence. « Ce n’est point, dit-il, une branche d’industrie, c’est une matière à régler par l’état en vue de l’intérêt général ; elle rentre dans la province de la police[1], » et il ajoute : « Je considère comme un droit incontestable de l’état le principe que les banques d’émission doivent être réglées par lui. Quant à la liberté des banques, dans le sens où quelques-uns la soutiennent, je suis de l’avis d’un écrivain américain, qui dit que le libre commerce de banque (ainsi compris) est synonyme de libre commerce de la tricherie. » Certes jamais condamnation plus sanglante n’a été prononcée contre le régime défendu par ceux qui prétendent cependant se couvrir du nom de Tooke.

  1. Tooke’s History of Prices, t. III, p. 207. « The issue of paper is a branch of productive industry. It is a matter of regulation by the state. » Id. ibid. « That free trade in banking is synonymous with free trade in swindling. »