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« province de la police de l’état ? » Ici les opinions se divisent : ceux qui veulent avant tout la stabilité, la fixité et la sincérité des conventions, soutiennent que le billet de banque dépend du domaine public ; ceux qui veulent n’y voir qu’un simple titre de crédit demandent la liberté de l’émission, que par une fâcheuse erreur de langage ils confondent avec la liberté des banques. Nous ne voulons point greffer sur notre sujet une discussion métaphysique ; nous nous contenterons de dire que, d’après nous, il y a, pour emprunter le beau langage de M. Cousin, « une famille de droits que la société moderne a fait sortir du cercle restreint des prétentions individuelles et des libertés partielles, afin de les remettre à la puissance publique, au grand profit de la liberté générale et de la sécurité des individus. » Le droit d’émission des billets, qui constituent une véritable monnaie de papier, est de ce nombre. Le devoir de l’état est de veiller à la fidélité des poids et mesures ; le devoir de l’état est au même titre de veiller à la fidélité de la monnaie métallique et fiduciaire. Tel est le principe qui domine en Angleterre et que les États-Unis viennent d’adopter.

Ce principe admet divers modes d’application : l’état peut exercer lui-même le droit d’émission ou le déléguer à des conditions définies. Il peut le déléguer à un seul établissement ou à plusieurs, appliquer l’unité pour la monnaie fiduciaire comme pour le numéraire métallique, ou bien tolérer une émission multiple. Il peut limiter la quotité de l’émission en fixant un contingent déterminé, ou bien régler seulement les bases sur lesquelles celle-ci doit reposer, sans en restreindre le chiffre ; il peut enfin prescrire un dépôt de valeurs publiques ou un encaisse métallique qui correspondent dans une proportion déterminée aux billets émis, soit qu’au-delà d’un certain chiffre toute l’émission fiduciaire doive être représentée par de l’or, soit qu’elle se trouve astreinte à ne pas dépasser un multiple fixe du métal conservé. Ces divers systèmes conduisent à des combinaisons variées, plus ou moins élastiques. Sir Stafford Northcote, qui a fait avec un rare succès le 31 juillet 1866 son maiden-speech de ministre du commerce sur la question des banques, a spirituellement défini les tendances de deux écoles irréconciliables. « Les uns, a-t-il dit, pensent que la monnaie est de l’or, du capital disponible, quelque chose de substantiel ; ils ajoutent que vous devez couper votre habit suivant la mesure du drap que vous possédez, et que, si vous avez peu de fonds, vous ne sauriez en prêter beaucoup à bon marché. D’autres au contraire soutiennent que vous devez alors faire ressource du crédit, car à leurs yeux la monnaie n’est qu’une forme du crédit. Au lieu de vous astreindre à couper votre habit d’après le drap, ils prétendent que vous devez tailler le vêtement tel qu’il vous convient, et, si