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de la colline où le jardin s’adosse et où s’élève une des forteresses qui défendent la ville !

Ce n’est pas dans les pays méridionaux qu’il faut chercher les fortes couleurs ; les contrastes brutaux, les ciels sanglans, les incendies de nuages se trouvent plutôt dans le nord. Le grand charme du ciel des tropiques est dans l’harmonie exquise et presque vaporeuse des teintes. À cette heure, la région du soleil couchant a une sérénité lumineuse et douce qui se marie insensiblement au bleu clair et velouté du ciel nocturne. Le petit croissant de lune qui commence à paraître étincelle sans éblouir, et l’atmosphère est si pure que l’œil suit distinctement les contours de la face obscure de l’astre. Une étoile, celle que nous appelons l’étoile du soir, s’est levée avec la lune, et se tient dans son voisinage, comme une suivante inséparable, plus étincelante elle-même qu’une flamme phosphorique dans les facettes d’un diamant. Le vaste et doux paysage s’étend au loin devant nous, borné à gauche par des collines mollement ondulées, à droite par la mer calme et bleue. La ville de la Havane est là, à nos pieds, à demi dérobée par le pli de terrain qui s’incline vers la rade. Les groupes élégans des palmiers se parsèment au loin dans la plaine, dont les formes un peu maigres et dépouillées s’illuminent vers l’horizon des plus délicates nuances de lilas tendre qu’ait jamais exprimées le pinceau de Marilhat ou de Decamps. Le bleu et le violet se jouent dans ce paysage avec un si harmonieux caprice, qu’on dirait les nuances d’un ruban de moire aux reflets mobiles. La baie se glisse comme une langue d’azur à la fois vif et doux entre deux bandes de verdure dont les teintes discrètes s’estompent de l’ombre du soir. Au premier plan, sur la colline d’une roche rouge et nue, les haies menaçantes d’aloès hérissés, les buissons de cactus aux dents venimeuses disent la puissance et l’hostile fécondité de cette nature aux sourires si voluptueux ; mais je n’en finirais pas si je m’obstinais à tout décrire. Je vous en ai dit assez de la Havane, de ses pompes, de ses ennuis et de ses plaisirs. Il est temps de quitter cette grande petite ville à l’aspect misérable et inachevé. Matanzas nous offre, dit-on, un meilleur gîte et une ample moisson de beautés naturelles.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.