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En revenant de notre pèlerinage inutile, le hasard nous fit passer devant le marché aux poissons. Ceci nous dédommagea de notre déconvenue. Je ne suis pas naturaliste, mais j’irais volontiers le matin passer des heures devant cette table où se jouent, comme dans un kaléidoscope, toutes les couleurs possibles et imaginables avec l’éclat d’un arc-en-ciel ou d’un coucher de soleil. Les poissons des mers tropicales sont de vraies « fleurs animées, » comme dit Michelet des oiseaux-mouches, et la nature a déployé plus de génie sur leurs brillantes écailles que Tintoret sur ses dix mille toiles. Je ne parle pas de leurs formes et de leurs aspects étranges, qui sont au moins égalés par ceux des vilains monstres de nos latitudes, mais seulement de leurs couleurs. Les uns sont roses comme l’aurore, avec des rayures vertes et dorées ; les autres bleu d’azur avec des taches de pourpre. On s’évertuerait vainement à décrire ces combinaisons merveilleuses et fantastiques, et ce luxe de demi-teintes perlées, argentées, rosées, qui mettent l’harmonie dans ces éblouissantes parures.

Tout est beau dans ce climat, tout met les yeux en fête. Nous allâmes hier soir prendre au paseo un peu de poussière et d’air chaud. Nous mîmes pied à terre un instant aux jardins du capitaine-général, une jolie petite maison de campagne blottie à la porte de la ville dans un bosquet choisi des plus beaux arbres du tropique. Il y a derrière l’habitation, chose merveilleuse en ce pays, une rivière et une cascade artificielles d’eau pure et fraîche, entourées de buissons fleuris et épineux. On entre par un parterre de fleurs brillantes, encadrées d’une verdure si fraîche qu’on oublie le soleil ardent dont les rayons penchés se jouent dans les grands panaches ondoyans des palmiers. Ceux du jardin du capitaine-général sont renommés pour leur belle et régulière venue, et l’on ne saurait en vérité imaginer rien de plus gracieux, de plus classique et de plus athénien dans ses formes que cette longue allée de grandes colonnes lisses et blanches, semblables au portique de quelque temple grec. Les troncs sveltes s’amincissent à un pied de terre, puis se renflent de nouveau, puis s’amincissent encore jusqu’au grand chapiteau vert, pousse des derniers mois, où s’enroulent les longues palmes vertes entrelacées sur la tête du promeneur. Une ou deux de ces gracieuses plumes végétales penchent vers la terre à demi flétries ; la plus basse traîne le long de l’arbre, comme prête à se détacher. C’est la dépouille mensuelle du palmier, qui compte ainsi les semaines et les années par la chute de ses feuilles. One sorte de barbe rougeâtre et grenue, semblable à une grappe pendante, s’attache au-dessous de la touffe verte : c’est là que poussent les baies et les graines. Une espèce d’étui vert et