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de Phidias et d’Apelles ? La coupole immense et si hardie de Sainte-Sophie, qui semble soutenue comme un lustre par un fil descendu du ciel, en quoi pourrait-elle avoir été inspirée par les toits aplatis des temples grecs ? Ou bien ces rinceaux de feuillages et d’animaux, ces arabesques sculptées, émaillées, niellées, en quoi ressemblent-ils aux superbes bas-reliefs du Parthénon ? La statuaire byzantine, amie du fantastique, comme l’étaient l’imagination et la statuaire assyriennes, ne se rapproche pas davantage du caractère réaliste de la sculpture grecque ou romaine ; ces chapiteaux, si variés, si capricieux, si fouillés, où leur trouver une parenté même lointaine avec les ordres dorique ou corinthien ? Il en faut dire autant de ces peintures exécutées sur fond d’or au moyen de petits morceaux de verre, et qui, par l’éclat, la solidité, l’accord parfait des matériaux, atteignent merveilleusement le but poursuivi par l’art décoratif ; en quoi cela peut-il se comparer aux peintures des Grecs ? Ici le dessin, lorsqu’il s’agit de figures, a cette raideur, cette tournure naïve de la peinture persane, cette forme conventionnelle dont les Grecs avaient secoué le joug. Dans les émaux byzantins, les meubles, les coffres, les étoffes, les bijoux, les verreries si habilement décorées, où donc retrouverez-vous l’art grec ? Songez qu’alors et depuis longtemps la Grèce était morte, oubliée, dépouillée, que ces petites îles désormais sans importance, n’étaient plus visitées, que la civilisation grecque, transportée à Rome, puis peu à peu déformée, avait été remplacée par la grande influence asiatique, qui devait exercer une action puissante sur ce peuple romain capable de s’assimiler le beau, mais non pas de l’inventer.

On se tromperait d’ailleurs étrangement si l’on s’imaginait que les Romains, en fondant Byzance, créèrent subitement cette architecture byzantine dont Sainte-Sophie est le plus pur modèle. Croit-on qu’en Asie, en Perse, depuis les conquêtes d’Alexandre et la dislocation de ce grand empire, il n’y ait eu aucune construction, aucune ville, qu’aucune architecture ne se soit continuée et développée ? Après la destruction de Ninive, de Babylone et de Persépolis, ces vastes contrées conservèrent leur industrie, leurs mœurs, leurs coutumes, soumises, comme en tous pays, au caractère national et au climat. Une nation vaincue dont les centres industriels périssent ne tient plus le sceptre de la civilisation, mais comme l’Italie d’aujourd’hui, comme l’Orient actuel tout entier, elle n’en existe pas moins avec ses instincts et ses habitudes. Qu’une cause puissante surgisse, qu’une religion nouvelle, un chef de génie apparaissent, et on verra renaître la vie et la splendeur. Reposée, cette nation s’élancera plus ardente dans la voie du progrès, s’appuyant sur la tradition, qui, malgré l’anéantissement du commerce et l’asservissement du pays,