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douane, un fisc, des impôts multipliés et inexorables, une justice qui se vend à tout le monde, voilà de quoi se compose tout le gouvernement. L’idée-mère en est la vieille idée monarchique qui veut que l’autorité soit un profit et un moyen d’extorsion.

Notre centralisation française, avec tous ses inconvéniens et tous ses abus, est encore un modèle de gouvernement en comparaison. Si elle absorbe et exprime toute la sève d’un peuple, comme les pouvoirs à l’ancienne mode, elle professe en revanche que son devoir est de fournir aux besoins publics et de pourvoir les individus de tout ce qu’elle leur enlève. La pratique assurément n’est pas irréprochable ; mais la théorie est du moins civilisée. Ici le gouvernement ne se donne même point la peine d’avoir un système : il s’empare de toutes les avenues, de toutes les voies par où la vie circule dans le pays, et lève tribut, comme le cheik arabe sur les caravanes, ou le seigneur féodal sur les passagers de la grande route. Encore ne donne-t-il pas aux taillables la protection que ces honnêtes brigands leur accordaient en retour de leurs rapines. Après qu’il a prélevé sa part sur le bien de chacun, il lui laisse le soin de se défendre et de conserver le reste. Ne lui demandez ni sécurité, ni travaux utiles, car ce n’est pas là son affaire. Il n’y a pas de routes à Cuba, si ce n’est celles qu’ont ouvertes les particuliers eux-mêmes ; pas de justice, car les procès sont ruineux, et on les redoute comme la peste : je sais des gens du pays qui ont mieux aimé composer avec le voleur que de se plaindre aux juges. En revanche, il y a toujours moyen de frauder la loi quand on est riche…

L’importation des Chinois et des Malais n’a pas du reste la même influence sur la race que celle des noirs. Les blancs les tiennent à distance comme une espèce inférieure et méchante, les noirs même leur restent étrangers. Il y a entre les deux races opprimées je ne sais quelle antipathie naturelle et singulière qui les empêche absolument de se mêler. On prétend que les enfans des coulies et des négresses ne peuvent pas vivre, comme si une sorte de malédiction naturelle s’attachait à l’union des races esclaves. La loi, d’autre part, qui encourage l’importation des Chinois mâles, prohibe absolument celle de leurs femmes. Le coulie n’est donc qu’un instrument de travail, et ne deviendra jamais un habitant. La mort d’ailleurs n’en laisse pas le nombre s’augmenter outre mesure ; le climat leur est fatal, et il est rare qu’ils survivent aux dix ans de travaux forcés que la loi leur impose. Il s’est même introduit parmi eux depuis quelques années une mauvaise habitude qui a inquiété leurs maîtres : celle du suicide. Quand le fardeau des souffrances et des humiliations devenait trop lourd, ces hommes jaunes se tuaient ni plus ni moins que s’ils avaient été des blancs. Les nègres n’ont