Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesquin. Les fenêtres, qui ont toute la hauteur des appartemens, sont bardées de treillis de fer semblables à des grilles de prison. La première fois que j’aperçus deux négresses à travers cette formidable défense, je crus que j’avais devant les yeux le corps de garde ou le poste de police du quartier. Je suis accoutumé maintenant à appeler salon cette espèce de cellier aux murailles blanches, meublé universellement d’une double rangée de fauteuils à bascule et de crachoirs de fer poli disposés en bataille auprès de la fenêtre, en face les uns des autres, comme deux armées ennemies. C’est là que flânent le soir les captives de ces tristes donjons, tandis que des cigares luisans viennent de temps en temps s’asseoir en face d’elles sur la ligne vide et hospitalière qui appelle le visiteur trop rare. Alors les persiennes, qui pendant le jour interceptaient les rayons du soleil, s’ouvrent pour laisser entrer la fraîcheur et les regards indiscrets du passant. C’est ainsi que nous épions les cercles de famille et les languissantes conversations du soir, alors que, fatigués du tumulte des cafés, de la foule de la place d’Armes, nous errons au hasard dans les rues obscures et silencieuses, en quête de spectacles nouveaux. Vous raconterai-je toutes nos rondes nocturnes ? Nous ne rencontrons, je vous assure, ni brigands, ni alguazils, ni amans donneurs de sérénades et de coups d’épée, ni jaloux embusqués au coin d’une muraille, le poignard à la main, enveloppés tragiquement dans leurs manteaux sombres, — enfin pas le plus petit sujet de roman. Nous ne faisons même pas ces rencontres moins poétiques auxquelles nous ont habitués les rues de Paris ou de Londres ; on ne voit plus à cette heure que des hommes ou des négresses ; les femmes blanches ne sortent plus qu’en voiture, ou bien elles restent chez elles. Cependant, comme nous marchions en rêvant au fond d’une rue noire et solitaire, nous nous arrêtâmes soudain devant une vieille maison basse d’où sortait un rayon de lumière discrète et douce comme celle que laisse passer la lampe d’albâtre suspendue pendant la nuit au fond des chapelles. Le porche arrondi s’enfonçait en arceaux mystérieux comme la voûte d’un cloître, et à travers une grille de fer massive aux barreaux épais on voyait briller dans une gloire cinq ou six figures de femmes immobiles, assises en cercle comme dans un sanctuaire, parées somptueusement de draperies de soie brillante, et de voiles de gaze rose avec des paillettes d’or. On eût dit une de ces niches ou chapelles que les Italiens creusent dans leurs murailles, et où ils mettent derrière une grille de fer des madones en cire ou des figures de saintes enrubannées qu’éclaire le soir de sa lumière douteuse une chandelle tremblotante sous un transparent de papier rouge. Nous nous étions arrêtés en contemplation devant