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régulièrement plusieurs personnes chaque année. Étonnez-vous après cela de l’insalubrité de la ville et des épidémies qui la désolent ! Les indigènes vous diront que dans la campagne, sur les grands plateaux agricoles du centre de l’île, la fièvre jaune est presque inconnue, et qu’elle est pour le moins autant un produit de la négligence et du mauvais gouvernement qu’un inconvénient naturel du climat de la Havane.

Il paraît cependant que les choses ont beaucoup changé, grâce à l’institution nouvelle et révolutionnaire d’une espèce de corps municipal chargé de l’édilité urbaine. Jusqu’alors il n’y avait à la Havane ni municipalité indépendante, ni même conseil de notables occupé des intérêts locaux. Le gouvernement colonial, c’est-à-dire la personne même du capitaine-général, commandant militaire de l’île, réunissait dans sa main toutes les attributions et tous les pouvoirs : modèle achevé d’une centralisation gouvernementale et administrative à peine égalée par les pachas de Turquie. Ce système fonctionnait avec une aisance et une simplicité admirables ; le gouvernement percevait les impôts et laissait faire la nature. Un jour cependant l’autorité s’avisa qu’elle pouvait, sans rien y perdre, confier cette branche de l’administration publique à un conseil élu par elle, choisi parmi les bourgeois les plus riches et les plus imposés de la ville, et en même temps les plus conservateurs de l’ordre établi. En effet, le fisc continue à percevoir les mêmes impôts qu’autrefois, et le conseil de ville pourvoit aux dépenses nouvelles avec des contributions extraordinaires, sans qu’il en coûte rien à l’avarice espagnole. Cette ombre de gouvernement municipal a déjà rendu de grands services : on a repavé les principales rues, construit des trottoirs d’un pied de large, éclairé la ville, construit la promenade nouvelle ; on parle même de creuser des égouts pour assainir les bas quartiers et donner un écoulement aux inondations périodiques des mois d’été. Telle est en tout pays la vertu du laisser-faire : l’appel à l’initiative individuelle est le seul remède efficace à l’indolence et au délabrement des gouvernemens absolus.

Tout cela ne fait pas de la Havane une belle ville. Sauf les vieilles habitations des bas quartiers et quelques palais modernes bâtis par des familles opulentes, la plupart des maisons n’ont qu’un seul étage, un rez-de-chaussée élevé de deux pouces à peine au-dessus du niveau de la rue ; tous les appartemens sont de plain-pied et entourent une espèce de cour intérieure assez comparable à l’atrium antique. Les rues étroites ressemblent à ce que devaient être les ruelles des vieilles cités romaines ; mais quand ces morceaux de maisons décapitées s’alignent le long des larges avenues de la nouvelle ville, ils ont un je ne sais quoi de nu, de pauvre et de