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politique de Manin se révèle tout entière dans les instructions que recevait M. Paleocapa en partant pour le camp piémontais. « Si le roi demande explicitement ou par ses ministres si nous sommes disposés à renoncer à la forme républicaine, que devrai-je répondre ? — Répondez que nous acceptons la forme de gouvernement que la nation décidera. — Si le roi faisait entrevoir l’intention de former un seul état de l’Italie septentrionale avec Milan pour capitale, que faut-il répondre ? — Vous diriez encore que nous sommes aux ordres de l’assemblée constituante… — Si la flotte sarde entrait à Venise pour vous porter secours, l’accepteriez-vous ? — Oui. — Si enfin le roi Charles-Albert témoignait l’intention de fortifier la défense de Venise par l’envoi d’un corps de troupes, que faudrait-il répondre ? — Que nous l’accepterions comme on accepte, en cas de péril, le secours d’un ami quelconque… » Il y avait évidemment quelque réserve dans cette stratégie diplomatique, dans cette tactique d’ajournement, et la vérité est que, sans céder à de ridicules ombrages, sans partager les préventions des révolutionnaires italiens contre Charles-Albert, Manin redoutait par-dessus tout quelque nouveau Campo-Formio, dont le nom bourdonnait sans cesse à ses oreilles. De son côté, Charles-Albert n’était pas sans inquiétude ; il ne pouvait voir naturellement avec plaisir cette république prendre une apparence de vie ; il trouvait partout la république, devant lui, derrière lui, et ce qui était, peut-être dans sa pensée, ses amis, ses partisans allaient le répétant tout haut, disant qu’un roi ne pouvait pas aller sauver une république, que si Venise s’unissait franchement au Piémont, elle serait secourue et défendue. Autre cause de méfiance : Charles-Albert, par crainte de la république, et beaucoup d’Italiens, dans un sentiment d’orgueil national, avaient prononcé le fameux Italia fara da se ! Manin était trop politique pour se faire de ces illusions ; il se réservait au contraire de faire appel au secours de la France et s’efforçait de l’obtenir.

Que résultait-il de tout cela ? C’est que les momens les plus précieux étaient perdus dans toutes ces négociations et ces tergiversations. Durando, qui était à Ferrare avec un corps d’armée, hésitait entre Venise, qui l’appelait, et Charles-Albert, de qui il dépendait. Au camp piémontais, on était surtout préoccupé naturellement des opérations sur l’Adige. Pendant ce temps, la Vénétie supérieure restait ouverte, incomplètement défendue, et on laissait s’accomplir le mouvement le plus grave qui allait décider de l’issue de la campagne, la jonction de l’armée autrichienne de réserve descendant du Frioul et du Tyrol avec l’armée de Radetzky, campée à Vérone ; les provinces de terre ferme retombaient entre les mains des impériaux, de telle sorte que lorsqu’on en venait enfin à prononcer