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d’idées depuis les plus familières jusqu’aux plus hautes, également capable de rendre ce que la pensée a de plus abstrait et ce que le sentiment a de plus délicat. J’entends encore qu’ayant été maniée par des maîtres reconnus dans tous les genres, la langue française.) telle qu’ils l’ont faite, s’impose à tous aujourd’hui avec l’indiscutable autorité que confère le génie. D’autres langues, comme l’anglais et l’allemand, obéissent encore au goût particulier, aux fantaisies même de chaque écrivain ; la langue française résiste à ces violences. Cette tyrannie qu’on peut regretter, mais qu’il faut subir, sans rendre toute création impossible en fait de style, ne laisse pas que d’en restreindre le champ ; elle a d’ailleurs ses avantages qui en compensent les inconvéniens. Eh bien ! L’histoire de notre langue ne comprend pas moins que l’exposé des révolutions et des péripéties, l’analyse de l’élaboration collective et des conquêtes du génie individuel, par lesquelles elle est parvenue à l’état de perfection qui lui assure maintenant une stabilité relative. Il est naturel que l’étendue d’une pareille tâche intimide les prétentions d’ailleurs les mieux justifiées. M. Littré l’abordait appuyé sur de longues recherches personnelles et sur une connaissance parfaite des documens originaux, ce qui ne l’a pas empêché de s’arrêter au XVIe siècle, de s’enfermer dans la période de formation et de développement, c’est-à-dire dans l’histoire de l’ancien français. Cette période est la plus aride, mais c’était la seule qui comportât l’application d’une méthode rigoureuse, et dont l’étude pût conduire à des résultats d’une certitude incontestable. M. Pellissier se borne à résumer les travaux les plus accrédités ; encore parmi les travaux récens dont les origines de la langue française et spécialement les textes de nos vieux poèmes ont été l’objet au-delà du Rhin, y en a-t-il d’importans qui semblent lui être restés inconnus. En revanche, c’est un tableau d’ensemble, le premier peut-être qui ait été tenté jusqu’ici, c’est une histoire en raccourci, mais systématique, embrassant tous les âges de la langue française, qu’il essaie de présenter. Après les révolutions en quelque sorte palpables et matérielles qu’elle a subies jusqu’au XVIe siècle, il ne craint pas de rechercher les modifications les plus délicates qu’elle a éprouvées d’époque en époque jusqu’au temps actuel. Que dis-je ? il sonde d’avance les secrets de l’avenir qui lui est réservé, et il nous apprend sans hésiter à quelles conditions elle peut garder le rang de langue universelle de la civilisation, titre qu’apparemment aucune langue, pas même la langue anglaise, bien que parlée par un nombre d’hommes bien plus considérable, ne peut lui disputer, et celui de langue de la diplomatie, qui semble être aux yeux de l’auteur ; un signe irrécusable de supériorité ! Ces conditions sont, pour le dire en passant, la foi spiritualiste et le culte de la précision. Le spiritualisme et la précision ne sont pas, je l’avouerai, les caractères qui m’avaient le plus frappé, jusqu’ici dans les documens diplomatiques, traités de paix ou d’alliance, circulaires, notes secrètes, etc. ; je ne manquerai pas d’y regarder de plus près à la prochaine occasion.