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dialogues interminables, l’auteur vous répondra que « le roman, la passion du cœur, traverse la passion de l’idée, et que ces pages romanesques seront plus vraies peut-être que les pages de l’histoire. » C’est là une théorie, et M. Houssaye la pousse à ses dernières conséquences. Si de temps en temps il cite des lettres inédites, des informations nouvelles et authentiques, il s’empresse d’y ajouter une foule d’ornemens parasites, de broderies et d’arabesques, de paradoxes et de digressions, comme s’il avait à cœur d’enlever aux documens tout cachet de vérité. Donner des dates précises, des détails d’une exactitude scrupuleuse, ne serait-ce pas gâter ce beau langage à la fois mystique et voluptueux dont M. Houssaye a le monopole ? D’une femme gracieuse, mais qui n’a pas droit à un culte, il veut faire un être providentiel, une envoyée de la justice céleste, une sainte du calendrier républicain ; il brûle une énorme quantité de cierges et de parfums devant l’autel de cette idole. Certes nous admirons dans Mme Tallien la grâce, la bonté, l’attrait irrésistible ; mais nous ne pouvons accepter une adoration perpétuelle, et le sentiment que nous inspire sa mémoire n’est pas de la dévotion. Devant cette figure, si agréable qu’elle puisse être, nous demandons la permission de ne pas nous agenouiller. A force de coups d’encensoir, ne s’exposerait-on pas à renverser le piédestal de cette jolie statue ? L’auréole ne va pas à la tête de Mme Tallien. Placée sous son jour véritable, l’héroïne du 9 thermidor est encore séduisante, et, pour bien faire comprendre le charme qu’elle exerça sur ses contemporains, il n’était nécessaire ni de lui attribuer une importance historique qu’elle n’a pas, ni de la transformer en déesse, elle qui fut essentiellement femme.


IMBERT DE SAINT-AMAND.



ESSAIS ET NOTICES
LA LANGUE FRANCAISE DEPUIS SON ORIGINE JUSQU’A NOS JOURS,
tableau historique de sa formation et de ses progrès, par M. Pellissier, 1866.


Il faut déclarer tout d’abord, pour rendre justice à l’auteur, qu’il commence par s’excuser de ce que ce titre peut avoir d’ambitieux : c’est faute d’en avoir trouvé un plus modeste qu’il s’est résigné à adopter celui-là, sans se dissimuler le danger de trop promettre. Je me rappelle qu’en publiant, il y a quelques années, le recueil des études magistrales qu’il a consacrées aux origines de la langue française, un homme dont personne n’aura l’idée de contester l’autorité en pareille matière, croyait devoir débuter par une précaution analogue. Ces excuses ne sont pas une vaine formule. L’histoire d’une langue, celle de la langue française en particulier, est un sujet très vaste et très complexe, et il y aurait à se défier de celui que l’on verrait l’aborder trop légèrement, ou qui se flatterait de l’avoir épuisé. La langue française est aujourd’hui une langue faite : je ne veux pas dire seulement qu’elle est arrivée à maturité, définitivement constituée, en possession de toutes ses ressources, à même d’exprimer tous les ordres