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princesse de Chimay s’exprimait sur elle-même finement et simplement. « Quel roman que ma vie ! écrivait-elle encore à M. de Pougens, je n’y crois plus. Il y a des jours où je me figure que je regarde jouer une, comédie, comme le soir où j’ai vu sur un théâtre du boulevard annoncer M. de Robespierre chez la citoyenne Tallien. Quand j’étais sur la paille, de la prison, à vingt-quatre heures de l’échafaud, nous pensions rêver aussi, tant la jeunesse nous aveuglait sur l’horrible lendemain ; le lendemain, c’était le 7 thermidor, le plus beau jour de ma vie, puisque c’est un peu par ma petite main que la guillotine a été renversée. »

Sa fin fut aussi douce que ses jours avaient été troublés. Entourée de l’affection des siens et des secours de la religion, elle mourut à Chimay le 15 janvier 1835. Quelques instans avant de rendre le dernier soupir, elle réunit ses enfans et ses serviteurs, et demanda pardon des fautes de sa jeunesse. Elle avait vécu soixante ans. Dans ce demi-siècle que d’événemens s’étaient accomplis ! Combien l’humanité avait souffert ! « Ah ! mon ami, disait-elle d’une voix entrecoupée à M. Edouard Cabarrus, qu’elle avait appelé à son lit de mort, ah ! mon ami, quelle vie que la mienne ! N’est-ce pas que c’est un rêve ? »

Telle fut la femme à propos de laquelle M. Arsène Houssaye a essayé d’enfler jusqu’au ton du lyrisme le son de ses pipeaux enrubannés. Cet adorateur de la beauté plastique, familier avec tous les détours de la carte du Tendre, cet historiographe de la haute galanterie, qui confond volontiers le boudoir et la chapelle, a entrepris de chanter en l’honneur de Notre-Dame de Thermidor un hymne qui est à la fois un madrigal et un cantique. Il a cru en même temps avoir saisi le prétexte d’écrire ce qu’il appelle « son histoire de la révolution. » On devine ce que devient cette grande œuvre sous la plume de l’auteur des Déesses de comédie et Princesses d’opéra. Tantôt ce sont des invocations épiques, des phrases qui courent après la majesté de l’Apocalypse, tantôt ce sont de jolies choses toutes parfumées d’ambre, des détails de toilette qui par leur précision mériteraient de figurer dans un journal de modes. Préoccupé avant tout de passer pour un coloriste, l’auteur de Mademoiselle Cléopâtre veut « une palette ardente pour les images michelangesques du bien et du mal, un pinceau de feu pour tous ces horizons changeans du désespoir et de la terre promise. » En veine de dithyrambe, il essaie de poétiser même les figures les plus sinistres. Il prétend saluer dans Saint-Just « un véritable apôtre, beau comme un marbre antique, éloquent comme le tonnerre et comme l’Évangile, pur comme un symbole, marchant le front haut, fier de porter comme un saint-sacrement la foi républicaine. » La vérité historique est la moindre des préoccupations de M. A. Houssaye. Quand il ne sait pas, il invente ; lorsqu’il est à court de renseignement, il compose sans se gêner une scène de mélodrame ou de comédie. Citons à titre d’exemple l’entrevue de Tallien et de Terezia Cabarrus dans la prison de Bordeaux. C’est un modèle du genre. Si on s’avise de faire observer qu’il n’y avait pas de sténographe pour noter ces