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des césars fût habillé aux frais de la république. Ce fut chez Mme Tallien qu’il fit la connaissance de Joséphine de Beauharnais, et quand il l’épousa, « Paul Barras, membre du directoire exécutif, domicilié au palais du Luxembourg, et Jean-Lambert Tallien, membre du corps législatif, domicilié à Chaillot, » furent les témoins de ce mariage. Joséphine avait d’ailleurs de grandes obligations à Mme Tallien. Emprisonnée en même temps que son mari, le général de Beauharnais, elle ne dut son salut qu’à la fièvre qui s’empara d’elle lorsqu’elle apprit la condamnation et le supplice du général. Sa comparution devant le tribunal révolutionnaire se trouva ainsi retardée de quelques jours. Le 9 thermidor arriva ; elle fut sauvée. Terezia Cabarrus (celle-ci ne s’appelait plus alors marquise de Fontenay et ne s’appelait pas encore la citoyenne Tallien) la fit sortir de la Conciergerie et la produisit dans le monde où la jeune veuve se fit beaucoup remarquer par son élégance et ses charmes.

Malgré de tels souvenirs, Tallien fut en médiocre faveur auprès de Bonaparte. Il n’obtint en Égypte que les fonctions plus que modestes d’administrateur des domaines, puis de conservateur des hypothèques. Toujours fidèle à son ancien goût pour le journalisme, il fonda au pied des pyramides une feuille périodique, la Décade égyptienne. S’étant brouillé avec Menou, il dut repartir en 1801 pour la France. Les corsaires anglais le saisirent pendant la traversée ; mais, amené à Londres, il y reçut des ovations. Les tories et les whigs rivalisèrent pour lui d’égards et de prévenances.

Le voyage à Londres fut le dernier écho de sa popularité. il ne revint à Paris, où l’on oublie si vite, que pour rentrer dans une obscurité profonde et être témoin de la liaison de sa femme avec Ouvrard. « Est-ce ma faute, écrivait-elle plus tard, si M. Tallien est parti pour l’Égypte quand son rôle le retenait à Paris ? » Une pareille excuse n’est rien moins que sérieuse, et l’idée seule de l’invoquer peint au vif les mœurs de l’époque. Cette situation aboutit à un divorce. Mme Tallien fit offrir une pension au mari qu’elle quittait. Celui-ci ne pouvait répondre que par un refus à cette étrange proposition ; mais comment vivre ? Le fier républicain n’avait plus de ressources, il dut se faire solliciteur. Heureusement il était appuyé par M. de Talleyrand, et après de longues démarches il parvint à se faire donner, — lui qui, à l’âge de vingt-cinq ans, avait été le président de la convention, lui qui avait abattu Robespierre, — un consulat à Alicante.

Peu de temps après son divorce, Mme Tallien épousa le comte de Caraman, qui recueillit plus tard l’héritage et le titre de son oncle Philippe d’Alsace, prince de Chimay. Elle n’oublia pas complètement l’homme dont elle avait porté le nom dans les momens les plus célèbres d’une vie si troublée. Tallien, ensevelissant dans la retraite les dernières années de son existence, reçut plus d’une fois la visite de la princesse de Chimay. Elle le força d’accepter sinon de l’argent, du moins un asile dans une dépendance de la fameuse chaumière du Cours-la-Reine, qu’on appelait toujours la maison