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murmura-t-il, hésitant à lui tout dire… Avant que six mois fussent écoulés, Jane allait devenir mère. Là-dessus il la laissa, surprise d’une telle perspective et distinguant à peine, dans son premier trouble, les émotions bienfaisantes qui se faisaient jour en elle. Le chapelain arriva. Cette fois, écouté avec déférence, il tint un langage tout autrement persuasif. Il n’avait plus à combattre dans les ténèbres un ennemi caché, il n’était plus victime d’une calomnie permanente ; une ironie cruelle ne jetait pas son froid venin sur les ardentes aspirations de sa charité. La lectrice revint, elle aussi, et ses paroles bienveillantes complétèrent, en les tempérant quelque peu, les sévères enseignemens du ministre. Jane Cameron trouvait dans les visites de cette affectueuse jeune femme les premières vraies consolations qu’elle eût encore goûtées. « Je me sentais changée, dit-elle naïvement… J’avais alors bien franchement regret de mes fautes. Il me semble que, si on m’eût transportée hors du pays, j’aurais pu me corriger une bonne fois pour toutes. »

Les soixante jours s’écoulèrent, et Jane, un peu plus instruite peut-être, peut-être aussi avec quelques faibles velléités de se mieux conduire, se trouva un beau matin dans les rues, où Mary Loggie l’attendait. Elles s’embrassèrent, pleurant presque d’émotion. Jane avait bien en poche une recommandation du chapelain pour une respectable dame qui probablement l’eût mise sur quelque bonne voie ; mais ce témoignage de sincère amitié que lui donnait Mary, et qui la lui rendait encore plus chère, lui fit pour le moment tout oublier. Puis il fallait bien savoir où en était Jock Ewan. — Ne parlons pas de lui, dit Mary détournant la tête avec embarras. — Au contraire il en fallut parler et longuement. — La police et Cannie Jock étaient « en délicatesse. » Il avait dû quitter Old-Wynd, et s’était réfugié chez les Frazer. D’accord avec un autre couple de mauvais sujets, Annie Frazer et lui avaient fondé une espèce de maison. Jane Cameron était cette fois bien complètement, bien ouvertement délaissée. En écoutant, indignée, ces navrans détails, Jane déchirait, sans trop savoir ce qu’elle faisait, la lettre du bon chapelain, Il était bien question, ma foi ! de chercher un refuge, un reformatory quelconque !… La vengeance d’abord ! on verrait ensuite. Pour se venger, il fallait rester libre ; pour rester libre, retourner chez les Loggie. Pour y payer sa dépense, il fallait ;… mais cette fois Jane déploya une prudence infinie. Cannie Jock auprès d’elle eût semblé téméraire. Elle vécut ainsi trois mois entiers, au bout desquels ses hôtes eurent à leur tour des « malheurs. » Loggie et sa femme allèrent en prison. Leurs enfans se dispersèrent. Mary Loggie, Jane et une autre jeune fille nommée Clarkson montèrent un établissement commun ; en d’autres termes, elles prirent à elles trois un logement