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représentant Diane entourée de lévriers et poursuivant un cerf. Par un ingénieux mécanisme, à l’expiration de chaque heure, les figures commencent à se mouvoir, les chiens aboient, le cerf de son pied droit sonne les heures. Le palais de l’enchanteresse a quelque chose de fantastique. Il est tout brodé d’arabesques, d’emblèmes amoureux; il est comme recouvert d’un voile de dentelles, et jusque sur l’or et sur l’azur des piliers de la chapelle les initiales de Henri et de sa favorite s’épanouissent au-dessous de la couronne.

La France même est la complice des longues illusions du monarque fasciné par cette vieille Armide. Toutes les fois que Henri II honore d’une visite ses bonnes villes du royaume, les habitans ne manquent pas d’élever sur son passage des arcs de triomphe où le chiffre de Diane resplendit à côté de celui du roi. A Rouen, les conseillers municipaux viennent présenter à la toute-puissante duchesse des bassins et des aiguières d’or: à Lyon, on lui offre le spectacle d’une fête qui représente le triomphe de Diane chasseresse, et Brantôme dit en parlant de cette apothéose : « Mme de Valentinois, au nom de laquelle cette chasse et mystère se faisoit, en fut très contente et en aima fort toute sa vie la ville de Lyon. » Ébloui par ses propres largesses, et jouet d’une illusion dont il est le principal auteur, le roi se croit naïvement le modèle des chevaliers. Quand il n’est pas auprès de Diane, il est comme en exil. Ses lettres respirent la tendresse. « Je vous supplye, lui écrit-il, avoir souvenance de celuy qui n’a jamès connu que ung Dyeu et une amye, et vous assurer que n’aurez poynt de honte de m’avoyr donné le nom de serviteur, lequel je vous supplye de me conserver pour jamès. » Les psaumes eux-mêmes sont interrogés pour célébrer la gloire de Diane, et au bas de l’un de ses portraits on lit en caractères romains : « Comme le cerf brait après le décours des eaux, ainsi brait mon âme après toi, ô Dieu ! » C’est un mélange de religion et de chevalerie, de mysticisme et de volupté. Les pompes catholiques se mêlent aux imaginations chevaleresques. « Qu’il faisoit beau voir, s’écrie Brantôme, les filles d’honneur de la reine aux processions générales de la Fête-Dieu ou des Rameaux, portant leurs palmes d’une si bonne grâce, et le jour de la Chandeleur portant de même leurs flambeaux. » Nourri dans la morale du siècle, le roi regarde le long scandale de son règne comme une preuve admirable d’héroïsme et de fidélité. Ne dépasse-t-il pas en constance le grand Amadis lui-même? En ayant pour sa femme de simples égards, en réservant pour sa favorite la tendresse, ne suit-il pas les doctrines des romans de chevalerie? D’après le rituel sentimental de cette littérature, la maîtresse n’a-t-elle pas le droit d’être jalouse, impérieuse, hautaine, tandis que le rôle de la femme ne peut être que la soumission et la docilité? Diane de Poitiers est la maîtresse, elle commande; Catherine de Médicis est l’épouse, elle obéit. Le roi tient d’ailleurs à ce que les deux femmes n’aient entre elles que les meilleurs rapports. Le roman de l’Amadis ne donne-t-il