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nous désirons le plus au monde. Il arriva que peu de temps après elle fut grosse, et que l’année 1543 elle mit au monde un enfant mâle, pour la plus grande satisfaction de chacun. » Autant Catherine avait été stérile dans les premières années de son union, autant elle devint féconde ensuite. Depuis 1543 jusqu’en 1555, elle n’eut pas moins de dix enfans. Sous le règne de François Ier, elle se tenait systématiquement à l’écart de toute intrigue, et ne songeait qu’à complaire au roi. Elle avait le talent de distraire ce monarque blasé, malade, attristé, qui se fuyait lui-même et terminait dans les souffrances du corps et de l’esprit une vie si brillante, si agitée. Quant à Diane de Poitiers, Catherine la traitait de puissance à puissance.

La véritable lutte était entre le présent et l’avenir, entre la favorite du père et la favorite du fils, entre la duchesse d’Étampes et Diane de Poitiers; leur rivalité partageait la cour en deux camps. François Ier avait vu sans déplaisir la passion du dauphin pour Diane. Au dire de Brantôme, «il vouloit fort que tous les gentilshommes se fissent des maîtresses, et s’ils ne s’en faisoient, il les estimoit mal et sot, et bien souvent aux uns et aux autres il leur en demandoit les noms et promettoit de leur dire du bien et de les servir. » Un roi aussi galant ne s’étonnait pas de se voir imité par son fils, et, tenant la balance entre les deux coteries rivales, il s’amusait des autres et de la haine des deux favorites. Au point de vue de la dignité morale, elles n’avaient rien à s’envier l’une à l’autre. Anne de Pisseleu, demoiselle d’Heilly (la duchesse d’Étampes), était entrée à dix-sept ans à la cour en qualité de fille d’honneur, et Clément Marot, admirant la finesse précoce de cette jeune beauté, lui avait dit :

Dix et huit ans je vous donne
Belle et bonne,
Mais à votre sens rassis
Trente-cinq ou trente-six
J’en ordonne.


Elle avait songé à se pourvoir d’un mari commode, Jean de Brosse, fils de René de Brosse et de Jeanne, fille du célèbre Philippe de Comynes. René, complice et compagnon du connétable de Bourbon, avait été tué à la bataille de Pavie, et un arrêt du parlement de Paris avait prononcé la confiscation de tous ses biens. Jean de Brosse, en épousant la maîtresse du roi, Mlle d’Heilly, obtint la restitution des biens de sa famille. Ce complaisant époux fut nommé gouverneur de Bretagne et comblé d’honneurs. Sous le nom de duchesse d’Étampes, sa femme était reine, sauf le nom. Moins âgée que Diane de Poitiers, elle se montrait fière de sa jeunesse et se plaisait à répéter que l’année de sa naissance était celle du mariage de Mme la sénéchale. Il y avait là de l’exagération, car Diane se maria en 1515, et la duchesse d’Étampes était née en 1509. Ce n’est pas d’ailleurs