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comme une sorte de poésie. « Elle s’habillait gentiment et pompeusement, dit Brantôme, mais tout de noir et de blanc. »

Le noir et le blanc, telles sont désormais les couleurs du dauphin. Fasciné par la beauté de Diane, il se déclare son serviteur. S’il y a des natures qui, en amour, cherchent à dominer, il y en a d’autres qui veulent subir le joug. Pour les uns, l’amour est un charme, une douceur, une consolation; pour les autres, c’est une force qui subjugue. Tandis que les uns rêvent dans la femme un être faible, qui a besoin de protection et qui conserve encore quelque chose des grâces de l’enfance, les autres aiment à trouver en elle une véritable maîtresse, qui exerce une autorité despotique sur leur âme et qui excite plus encore l’admiration que la tendresse. Telle fut Diane de Poitiers pour le dauphin. L’enfance de ce prince avait été triste. Envoyé en Espagne avec son frère comme otage pour l’exécution du traité de Madrid, il y avait passé quatre ans, relégué à Valladolid dans un couvent de moines, où il avait subi une véritable captivité. Revenu à la cour de France, il y était timide, embarrassé. Le roi son père n’avait pour lui qu’une affection assez médiocre et trouvait qu’il manquait un peu de vivacité. Le jeune prince croyait avoir besoin d’une Égérie, d’une protectrice, et dès son enfance, il avait jeté un regard d’enthousiasme sur Diane. Cette admiration juvénile, ce fanatisme qui allait jusqu’à l’idolâtrie et que les contemporains ont attribué à des moyens magiques, on le retrouve dans ces vers du prince :

Hellas, mon Dyu! combien je regrète
Le tans que j’é perdu en ma jeunèse;
Combien de foys je me suys souhèté
Avoir Dyane pour ma seule mestrèse;
Mès je craignois qu’elle qui est déesse
Ne se voulut abéser jusque là.

Ce langage humble et servile est bien celui d’un homme ébloui par la beauté comme par une invincible lumière, d’un amoureux qui s’était d’abord interdit même l’espérance. Quand le jeune prince fit son début au tournoi de la rue Saint-Antoine, son premier coup de lance fut en l’honneur de Diane, et en 1541, dans une fête donnée au bois de la Berlaudière, près de Châtellerault. sous le titre de tournoi des chevaliers errans, il prit publiquement les couleurs de sa bien-aimée. C’est la fête que Clément Marot célébra dans ces jolis vers :

Ici est le perron
D’amour loyale et bonne.
Où maint coup d’éperon
Et de glaive se donne.
Un chevalier royal
Y a dressé sa tente,
Et sert de cœur loyal
Une dame excellente