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rieur de l’île n’étant formé que d’une succession non interrompue de petits monticules de cent à deux cents pieds de haut, surmontés chacun, dans un rayon d’une lieue autour de la ville, d’une de ces constructions à un étage, importées de l’Inde anglaise, auxquelles on a conservé ici le nom générique de bungalow. Les appartemens y sont spacieux et aérés, une large galerie les relie à l’extérieur; tout, en un mot, jusqu’à l’élévation relative où l’on se trouve, concourt à donner à ces habitations une fraîcheur qui fait souvent défaut à celles de la ville. C’est là qu’après ses affaires l’Européen vient chaque soir, jusqu’au lendemain matin, retrouver sa famille, s’il est marié, ou, s’il ne l’est pas, les compagnons qui auront associé leur existence à la sienne, car on vit rarement seul à Singapore, et le marin serait ingrat, s’il ne conservait le meilleur souvenir des heures passées sous ces toits hospitaliers, ainsi que des brillantes réunions auxquelles sert de prétexte un dîner souvent trop substantiel pour le climat. Cependant, si belles que puissent être ces soirées sous la verandah où la brise apportait les parfums de la forêt voisine, le retour au milieu de la nuit nous paraissait plus merveilleux encore avec la féerique illumination des lucioles répandues par myriades le long de la route. Chaque buisson semblait une éponge imprégnée d’un feu magique, qu’une main invisible eût pressée à intervalles égaux; mais ce n’était qu’un éclair, et rien n’était plus admirable que la simultanéité mathématique de l’action lumineuse de ces insectes, soit que le buisson s’allumât comme par enchantement, soit qu’il fut replongé de même dans la plus profonde obscurité. Les femmes malaises placent volontiers dans leur coiffure de ces mouches à feu emprisonnées dans de petites cages de la grosseur d’un pois; l’effet en est original et gracieux.

Ce bienveillant accueil offert aux nouveau-venus, nous l’avons toujours retrouvé aussi cordial par la suite, chaque fois que dans cette campagne les hasards de notre navigation nous ont ramené à Singapore. Je dois l’avouer, jamais il ne m’est arrivé d’être au loin, dans quelque pays que ce fût, l’un des élus de ces réceptions sympathiques sans me rappeler avec un véritable sentiment de honte l’absence totale de bienvenue et de prévenances qui chez nous attend l’étranger au nom de notre civilisation supérieure. Il est fort heureux pour le marin que l’hospitalité bannie de la vieille Europe se soit réfugiée aux colonies.


ED. DU HAILLY.