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l’on dut de voir se créer d’année en année le long de la côte jusqu’à Natal, une chaîne non interrompue de missions wesleyennes en communication de l’une à l’autre. 32 pasteurs y étaient employés en 1860, plus, pour l’instruction primaire, 90 agens à la solde de la mission, et 630 agens non payés; les écoles, au nombre de 51, étaient fréquentées par 6,440 élèves. De tels résultats faisaient d’autant mieux honneur à l’esprit religieux des colons que l’œuvre de propagande avait été plus contrariée par les guerres dont nous avons parlé. Même en paix, les débuts étaient parfois décourageans. « J’engageai l’interprète, écrit M. Shaw, à leur dire que j’allais prier Dieu de nous être favorable, et qu’ils eussent à imiter mes mouvemens, parce que Dieu est grand et saint, et que nous devons nous prosterner devant lui. Après quelques difficultés, tous finirent par s’agenouiller en cercle; mais l’un d’eux, frappé du singulier aspect de cette nouvelle attitude, éclata d’un fou rire qui se communiqua si bien à la ronde que je dus renoncer à poursuivre. » Longtemps après, les Cafres se montraient encore beaucoup plus sensibles aux avantages matériels qu’aux bienfaits spirituels dont pouvait les doter le commerce des missionnaires. Ces derniers pourtant restèrent toujours à leur poste, et bien qu’on ait voulu les représenter comme s’abritant volontiers sous le canon anglais, il n’est que juste de dire que plus souvent encore ce fut au sein des tribus sauvages de la Cafrérie, loin de tout poste européen, qu’ils allèrent s’établir. Cette confiance leur réussit; plus d’une fois les chefs de ces tribus furent les premiers à les appeler. Ils partaient alors dans un de ces curieux wagons africains de douze pieds de long sur cinq de large, véritables maisons roulantes qui sont encore aujourd’hui conformes de tout point à la description qu’en a laissée Levaillant. Dix ou douze bœufs, davantage quelquefois, traînaient lentement, à raison de sept ou huit lieues par jour, la lourde machine qui le soir formait le centre du campement, et qui, même au terme du voyage, servait encore longtemps de demeure provisoire. Les missionnaires s’établissaient de préférence en un lieu isolé, afin de laisser autour d’eux le champ libre à la création d’un village chrétien dont une église modeste était ordinairement le premier édifice. Venaient ensuite la demeure du ministre et l’école, plus tard enfin, dans les missions principales, l’imprimerie, dont les néophytes appréciaient fort bien les services[1]. Le travail remplissait ces existences humbles et dévouées. C’était ou la tache sans cesse renaissante de l’école, ou le labeur imposé par les besoins matériels de

  1. Rien n’égale, écrit M. Casalis, l’intérêt avec lequel nos néophytes suivaient l’impression du volume sacré. Ayant observé que leurs yeux de lynx pourchassaient sans pitié les plus légères fautes de typographie, nous avons tiré un excellent parti, pour la correction de nos épreuves, de ce penchant à la critique. Il est tel mot qui, avant de garder la place que nous lui avions assignée, a dû subir l’examen d’un jury composé des hommes les plus considérables de la tribu.