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sentaient une population de 90,000 âmes ! On n’en demandait pas tant, et l’on se borna à choisir 4,000 émigrans, qui furent débarqués l’année suivante à la baie d’Algoa. Répandus de là dans la province orientale de la colonie, ils réussirent si bien que l’élément anglais ne tarda pas à y dominer, contrairement à ce qui avait lieu dans la portion de pays voisine du Cap. Les Hollandais se sentirent mal à l’aise dans ce milieu étranger : ils y étaient surtout représentés par les rudes fermiers qui leur servent d’avant-garde sur le sol d’Afrique ; aussi ceux-ci prirent-ils une large part au remarquable exode des Boers dont nous avons parlé, lequel commença vers 1836. Ce fut pour les émigrans le début d’une nouvelle ère de prospérité : devenus à vil prix acquéreurs des terrains ainsi abandonnés, ils y entreprirent l’élève des moutons sur une grande échelle, et aujourd’hui la quantité de laine produite par eux forme le plus clair des exportations non-seulement de la province, mais du pays tout entier[1].

Ce courageux travail de colonisation ne s’accomplissait pas sans obstacles. Le plus sérieux était le voisinage des Cafres, dont le nom a été si souvent prononcé en Europe lors des guerres périodiques que les Anglais eurent à soutenir contre eux. L’année 1819 avait été signalée par une de ces guerres, et c’était même ce qui avait hâté l’envoi des émigrans. Une seconde éclata en 1834, puis une troisième en 1846, enfin une dernière en 1850. Il semblait que l’ennemi ne déposât les armes que pour se donner le temps de reprendre des forces. Les griefs étaient réciproques, et malheureusement aussi les excès. Si à chaque prise d’armes les Cafres se voyaient privés d’une portion de territoire, en revanche chaque fois aussi les colons comptaient par centaines les familles que le pillage et l’incendie réduisaient à la misère. Néanmoins, bien qu’à certains momens cette lutte lui coûtât de sept à huit millions de francs par mois, le gouvernement anglais ne songea jamais à reculer. Au contraire la guerre de 1846 lui servit à s’annexer, sous le nom de Cafrérie anglaise, une nouvelle province qui lui donnait sur la côte trente lieues de plus vers le nord, et la guerre de 1850-52 lui four-

  1. Les chiffres suivans, quoique s’arrêtant à 1857, établiront catégoriquement le progrès de la colonisation anglaise dans la province orientale qui nous occupe :
    Importations. Exportations. Laine exportée. Valeur de la laine exportée.
    1830 461,375 fr. 610,975 fr. 4,500 livres. 5,550 fr.
    1845 5,037,125 5,575,800 2,085,064 2,606,425
    1857 32,063,400 27,116,000 14,064,261 17,580,325

    L’ensemble des exportations de la colonie (province orientale et province occidentale) s’élevait en 1858 à 45,117,600 fr., dont 27,404,425 fr. pour la laine seulement. Ce dernier chiffre était de 32,078,400 fr. en 1862.