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de gros dividendes pour faire monter le prix des actions ? Il s’agit bien d’un service à rendre, alors qu’on n’a eu en vue qu’un large profit à recueillir !

Cependant ce calcul égoïste manque souvent le but ; les échecs répétés des entreprises écloses en serre chaude ébranlent la confiance. Les pertes deviennent contagieuses, les signatures regardées comme les meilleures perdent leur valeur, le crédit s’affaisse, et ceux qui ont fourni les ressources aux banques et aux maisons d’escompte commencent à exercer sur elles une pression gênante. Pour les calmer, les établissemens menacés augmentent encore le taux de l’intérêt servi, mais cet expédient meurtrier ne fait que retarder de quelques jours l’instant fatal.

L’organe le plus accrédité de l’Angleterre pour les questions financières, l’Economist, si habilement dirigé par M. Bagehot, l’a dit récemment : on ne vit jamais et probablement on ne verra plus de longtemps commettre d’aussi insignes folies que celles qui ont marqué le cours des deux dernières années. Il faut que l’Angleterre ait un tempérament d’une solidité indestructible pour avoir résisté à tant d’abus, pour supporter comme elle l’a fait les mouvemens spasmodiques d’une crise formidable, conséquence nécessaire des fautes récentes. La défiance actuelle du continent, qui contribue à maintenir l’escompte de Londres à un taux de guerre, doit servir de leçon : moins elle est fondée, plus elle constitue un avertissement salutaire. Jamais, en effet, la puissance productive de l’Angleterre n’a reposé sur un terrain plus solide ni plus fructueux ; s’il est une vérité incontestable enseignée par Adam Smith, c’est celle qui consiste à regarder le fruit annuel du travail d’une nation comme la source la plus féconde de la richesse. L’Angleterre ne tardera point à réparer les pertes subies ; déjà une situation prospère, une industrie florissante, un commerce d’exportation accru dans de larges proportions, un revenu public progressif, font un singulier contraste avec le désarroi financier, et ne sauraient tarder à y mettre un terme. Nous ne sommes nullement inquiet de l’avenir de ce grand pays, il nous semble que le présent apparaît au dehors sous des couleurs beaucoup trop sombres. On ne saurait continuer à demander à nos voisins tous les paiemens en or et à tenir en défiance leurs titres de crédit ; mais l’expérience acquise ne sera point perdue par eux : ils ont éprouvé une fois de plus combien, même en présence d’une circulation affermie par la rigueur prévoyante de la loi, le crédit est d’une structure légère et délicates

Il est vrai qu’on s’est trouvé en présence d’une réunion singulière de causes et d’influences délétères. Au moment même où un taux très réduit de l’intérêt portait à se lancer à tout prix, à tout risque, dans les opérations les plus téméraires, la loi sur les sociétés