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tions graves. Que dirait-on si quelqu’un prétendait condamner la quinine parce que la vertu curative de cette substance, souveraine contre la fièvre tierce, utile contre d’autres fièvres, ne réussit pas contre la fièvre cérébrale ? Tel est le sort de l’act de 1844 ; il n’a point la prétention d’écarter d’une manière absolue les crises commerciales et financières, mais il en atténue la persistance et en abrège la durée. — Oui, dira-t-on, mais à quel prix ? Au prix d’un intérêt usuraire, de l’escompte à 10 pour 100 ! — Ici encore il est indispensable de voir à quoi tiennent la déperdition et le resserrement des capitaux disponibles, et quel est le vrai coupable sur lequel retombe la responsabilité de l’escompte à 10 pour 100.


II. — LES CAUSES DE LA CRISE.

Nous avons tracé le récit rapide et fidèle des faits en laissant parler le plus souvent les documens officiels et en résumant les débats publics. Il s’agit maintenant de scruter la nature de la crise et d’en indiquer les causes multiples et compliquées. Non-seulement elles ont amené une secousse violente, mais elles continuent à retarder la guérison. Trois mois se sont écoulés depuis le noir vendredi, et l’escompte reste encore à 10 pour 100 à la Banque d’Angleterre ; celle-ci n’ose point en abaisser le taux, car la réserve commerciale se reforme lentement, elle est loin d’avoir retrouvé la proportion ordinaire avec les dépôts, dont la masse s’est au contraire accrue.

C’est que le taux élevé de l’intérêt n’a point été un accident, il tient à des motifs plus graves que ne le serait une exigence abusive à laquelle le marché libre ne tarderait pas à faire renoncer, s’il présentait une masse suffisante de capital disponible, et si celle-ci n’avait pas été rudement entamée par des spéculations hasardeuses, par des placemens inconsidérés. L’appât d’un intérêt élevé a fait de plus en plus de l’Angleterre la pourvoyeuse des sociétés étrangères et des emprunts consentis au dehors. La forme nouvelle des sociétés à responsabilité limitée a imprimé plus d’audace aux entreprises lointaines et aux plans ambitieux ; les ressources privées qui alimentaient jusque-là les besoins locaux se sont concentrées entre les mains de compagnies, à l’affût d’un gros bénéfice et plus téméraires de leur nature, car elles sont dirigées par des hommes qui espèrent gagner beaucoup et qui n’engagent qu’une faible part de leur avoir personnel, — avoir quelquefois problématique. C’est dans ce sens qu’un écrivain écossais, M. James Stirling, s’est élevé contre le principe pestilentiel (the pestilental principle) de la limited liability. Dans un temps où plus que jamais on voit sévir la maladie morale qui pousse les hommes à tenter la fortune pour