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sir Robert Peel y a pleinement et définitivement pourvu. Désormais le pays est d’une façon absolue à l’abri de toute crainte relative à la sécurité de la circulation, les périls de la question monétaire sont écartés. Loin de songer à les échanger contre de l’or et de s’abattre sur la réserve métallique de la Banque, les détenteurs de billets les conservent, et ceux qui s’adressent à la Banque s’empressent d’en demander. Le but principal de la grande réforme accomplie en 1844 se trouve ainsi pleinement atteint. L’Angleterre peut encore subir des crises financières, celle qu’elle vient de traverser montre combien elles arrivent soudaines et violentes ; mais elle est désormais à l’abri de la calamité bien autrement redoutable et bien autrement profonde d’une convulsion monétaire. Peut-être même la grandeur du succès ainsi obtenu contribue-t-elle à le faire trop oublier : comme on est libre de toute inquiétude au sujet de la rectitude et de la fermeté de la monnaie fiduciaire, on ne s’en occupe plus. Ainsi que l’a dit M. William Newmarch au Club d’Économie politique de Londres, ce n’est plus la question. Pourquoi ? Parce que le mécanisme de l’act de 1844 détruit toute appréhension, parce que, suivant la prévision bien justifiée d’un de ses habiles auteurs, lord Overstone, il met à couvert non-seulement a calomitate, sed a calamitalis metu, et qu’il est le véritable deus ex machina de la circulation, le deus qui nobis hœc otia fecit.

L’homme est ainsi fait qu’il s’habitue aisément à ce qui est bien ; il incline à le regarder bientôt comme si naturel qu’il ne s’en occupe plus. La liberté du travail, la liberté du commerce, les voies rapides de communication, l’unité des poids et mesures et l’unité de la monnaie, pour nous en tenir à des indications d’ordre purement économique, nous en usons, nous en profitons chaque jour, sans trop nous rendre compte des efforts qu’il a fallu dépenser pour les conquérir. Ces grands bienfaits successivement acquis au prix de tant de luttes et de sacrifices, nous en jouissons presque sans nous en apercevoir, comme de l’air que nous respirons. Il en est de même de la stabilité de la circulation, heureux fruit de la réforme accomplie par sir Robert Peel. De là vient l’espèce d’indifférence, qui serait de l’ingratitude, si elle était préméditée, avec laquelle beaucoup d’hommes distingués traitent les sages prévisions du législateur de cette époque. Son œuvre peut ne pas être parfaite, la prudence éveillée et la prévoyance active peuvent, ainsi que le montre la conduite des affaires de la Banque de France, dispenser de l’emploi obligé d’un mécanisme rigide et conduire au même résultat par une voie différente ; mais, tel qu’il est, l’act de 1844 a rendu à l’Angleterre d’incontestables services, et les défauts qu’on lui reproche tiennent bien plus à la nature des choses qu’à une méprise imputable au législateur.