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la littérature anglaise pour faire déserter les temples de l’autre; il goûte, il aime le génie littéraire en toutes ses manifestations, il croit le moins possible à la décadence littéraire et professe la doctrine du progrès, c’est-à-dire des évolutions successives; l’entendre autrement serait absurde. Le siècle des essayistes, des historiens, des romanciers, a été l’évolution de la prose.


II.

Cette exposition de doctrine sur le siècle de Swift et de Pope montre assez que David Masson a pris sa place parmi les critiques purement anglais et choisi son drapeau dans le champ des débats littéraires. Ajouter quelques observations sur sa méthode est presque indispensable, lorsqu’il s’agit d’un critique non-seulement pourvu d’une chaire, mais didactique au plus haut degré. Johnson, qui était dogmatique, dit quelque part que celui qui excelle a le droit à l’enseignement; j’ajoute : celui qui a une méthode en a la vocation. Johnson, Hazlitt, Macaulay, Matthew Arnold, n’ont pas proprement de méthode, parce que leurs procédés, excellens entre leurs mains, ne sont pas communicables. Jeffrey avait une méthode qui a vieilli, une sorte de dialectique, le raisonnement d’un debater ou discuteur, qui a puisé ses habitudes d’esprit dans les sociétés de discussion dont l’Ecosse était alors remplie, et qui les a transportées dans la littérature. La méthode de David Masson est visible dans tous ses ouvrages; ses écrits ont été, sont ou pourront être des leçons. Il a surtout deux procédés qu’il est aisé d’indiquer. Le premier est familier aux esprits d’une trempe philosophique; le second est à l’usage des hommes qui croient plutôt au progrès qu’à la décadence dans les choses humaines.

Recueillir les traits caractéristiques d’un écrivain, d’un personnage réel ou fictif, pour apercevoir au travers non pas seulement l’attitude d’un talent, mais la physionomie d’une âme, s’attacher à ces analyses intérieures qui appellent la psychologie au secours de la critique, voilà le premier de ces procédés. Nous le rencontrons dans les pages les plus distinguées des écrivains de nos jours; seulement cette analyse verse trop souvent du côté de la physiologie. M. David Masson en a fait un heureux emploi dans l’étude de Shakspeare, de Goethe, de Milton et en général dans son livre sur les poètes. Rien n’est plus ingénieux par exemple que le choix des textes de Shakspeare, avec lesquels il nous montre combien il y avait de curiosité triste, de mélancolie souriante et attendrie dans cette âme de poète que l’on se plaît à représenter comme impersonnelle à force d’être artiste, comme dénuée de passions à force