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ardeur; mais ils pratiquent beaucoup l’emphase. Dans des hommes tels que Burns, Chalmers, Irving (deux ministres calvinistes), il y avait au contraire autant d’ardeur que d’emphase ; il en est de même de Carlyle, de sir William Hamilton (le philosophe). Et comme nous distinguons l’emphase de l’ardeur, il la faut distinguer de la persévérance. Les Écossais passent pour être persévérans; cela n’est pas toujours vrai. Les Écossais ont ou n’ont pas la persévérance du caractère ; mais tous les Écossais ont l’emphase intellectuelle. L’emphase intellectuelle, l’habitude de s’appesantir sur certains points plutôt que de coordonner le tout, voilà l’essence du scotticisme des Écossais. Et comme cette observation se vérifie dans l’expérience par la manière même dont les Écossais énoncent leurs mots quand ils conversent, on pourrait la déduire scientifiquement de la nature et des effets de leur sentiment national. L’habitude de penser avec emphase (avec insistance sur un point) est un résultat nécessaire quand on a beaucoup pensé en présence d’une négation et en vue d’y résister. C’est l’habitude d’un peuple qui a été accoutumé à se tenir sur la défensive plutôt que d’un peuple se développant paisiblement et agissant d’une manière positive. C’est l’habitude du protestant plutôt que du catholique, du presbytérien plutôt que de l’épiscopal, du dissident plutôt que du conformiste. »


Cette emphase, cette insistance, quand elle règne dans la logique, fait les philosophes de l’Écosse; quand elle règne dans le sentiment, elle fait ses poètes. Les uns et les autres en ont les avantages et les défauts. Deux sentimens, pas plus, l’amour de l’Écosse et la haine du puritanisme, voilà tout Robert Burns : il eût été poète partout; mais c’est pour avoir insisté sans relâche sur ces élémens très bornés qu’il a été le poète écossais par excellence. Hors de là, tout ce qu’il a essayé de faire a peu réussi. Deux sentimens, l’amour de l’Écosse et le culte du passé, voilà le principal, le meilleur de Walter Scott. Il n’a pas l’emphase de la pensée : nul écrivain n’est moins penseur, et rien n’est plus absent des œuvres de Walter Scott que Walter Scott lui-même. Il n’insiste, il ne compte que sur sa chère Écosse et sur les siècles passés; l’imagination aidant, cette perpétuelle répétition d’effets analogues et de personnages de la même famille n’épuise pas la curiosité du lecteur.

On conçoit qu’en philosophie cette insistance sur quelques pensées, ces redites expressives, soient peu favorables à la liaison des rapports simplement ingénieux, à la généralisation facile, toute faite. M. Cousin disait excellemment dans une lettre à un professeur d’Edimbourg : « La philosophie de Reid et de Stewart est l’esprit écossais lui-même appliqué à la métaphysique. » Les métaphysiciens écossais, retranchés sur la limite du moi et du non-moi, ne ressemblent pas mal à leurs pères toujours armés, toujours sur la défensive. Il semble que là plutôt qu’ailleurs on ait