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poussait avec quelque acrimonie l’athéisme dogmatique, et même il dit (dans un ouvrage postérieur, mais les antérieurs ne contiennent rien qui soit en contradiction) que l’hypothèse d’un dessein a plus de vraisemblance que celle d’un mécanisme aveugle; mais une conjecture fondée sur l’analogie ne lui semblait pas, au temps de la maturité de l’intelligence humaine, une base capable de soutenir une théorie. Il regardait toute connaissance réelle d’une origine comme inaccessible, et s’en enquérir, c’était, suivant lui, outre-passer les bornes de nos facultés mentales; mais ceux qui acceptent la théorie des stages successifs de l’opinion ne sont pas obligés de le suivre jusque-là. Le mode positif de penser n’est pas nécessairement une négation du surnaturel ; il se contente de le rejeter à l’origine de toutes choses. Si l’univers eut un commencement, ce commencement, par les conditions mêmes du cas, fut surnaturel; les lois de la nature ne peuvent rendre compte de leur propre origine. Le philosophe positif est libre de former son opinion à ce sujet conformément au poids qu’il attache aux analogies dites marques de dessein, et aux conditions générales de la race humaine. La valeur de ces marques est, à la vérité, une question pour la philosophie positive; mais ce n’en est pas une sur laquelle les philosophes positifs doivent être nécessairement d’accord. — Une des méprises de M. Comte est de ne jamais laisser de questions ouvertes. La philosophie positive maintient que, dans les limites de l’ordre existant de l’univers, ou plutôt de la partie qui nous en est connue, la cause directement déterminative de chaque phénomène est naturelle, non surnaturelle. Avec ce fait, il est compatible de croire que l’univers fut créé et même qu’il est continuellement gouverné par une intelligence, pourvu que nous admettions que le gouverneur intelligent adhère à des lois fixes qui, étant seulement modifiées ou contrariées par d’autres lois de même dispensation, ne sont jamais délaissées capricieusement ou providentiellement. Quiconque regarde tous les événemens comme des parties d’un ordre constant, chacun de ces événemens étant le conséquent invariable de quelque antécédent, condition ou combinaison de conditions, celui-là accepte pleinement le mode positif de penser, soit qu’il reconnaisse ou ne reconnaisse pas un antécédent universel duquel tout le système de la nature fut originellement conséquent, et soit que cet universel antécédent soit conçu comme une intelligence ou non. »


Dans la préface que j’ai mise en tête de la nouvelle édition du Cours de philosophie positive de M. Comte, j’ai discuté une question fort analogue. M. Herbert Spencer fait de ce qu’il appelle l’incognoscible et de ce que j’appelle l’inconnu la puissance suprême dont l’univers est la manifestation. Je l’ai combattu en disant que définir ainsi l’incognoscible, c’est véritablement le connaître dans un de ses attributs essentiels, ce qui implique contradiction, car alors il n’est plus l’incognoscible. L’argumentation de M. Mill n’échappe pas à une contradiction à peu près du même genre. Elle se réduit à ceci : pensez ce que vous voudrez de la cause première, de l’origine, de l’antécédent universel; admettez nommément que