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qui date de Reid en Angleterre et de Kant sur le continent. Cette école, qui est l’école psychologique, je l’accepte et lui voue beaucoup de reconnaissance pour avoir rendu positive la psychologie; mais elle n’a point fait une philosophie, et, à vrai dire, je ne pense pas qu’elle en fasse jamais une effective, m’appuyant sur ce principe invincible, déjà cité, que le sujet est subordonné à l’objet. On n’échappera pas à la nature des choses, et l’étude de l’homme ne donnera pas la conception du monde.

Philosopher positivement suivant le mode psychologique est une impasse, et c’est là qu’éclate le service rendu par M. Comte. Il a créé le second mode positif de philosopher, le mode objectif. Tandis qu’il écartait la philosophie théologique en substituant des lois aux volontés, et la philosophie métaphysique en remplaçant les notions a priori par des notions a posteriori, il écartait la philosophie psychologique en substituant l’étude du monde à l’étude de l’homme. Alors il n’y eut plus d’impasse : les sciences, transformées en un tout organique par la hiérarchie qui les subordonne l’une à l’autre, conduisirent la philosophie jusqu’au terme, sans solution dans l’enchaînement, sans contradiction dans la teneur.

Cette distinction entre l’origine psychologique et l’origine objective dans le mode positif de philosopher me mène directement au célèbre principe de la relativité de la connaissance humaine. Ce principe, qui est incorporé à la philosophie positive, est antérieur à M. Comte, et M. Mill rappelle qu’il appartient à Bentham, à James Mill et à William Hamilton. Cela est incontestable; cependant il importe grandement de distinguer les deux voies par les- quelles les philosophes anglais d’une part et M. Comte d’autre part y sont parvenus. Pour les philosophes anglais, le principe est psychologique et résulte de la nature de notre faculté de connaissance; pour M. Comte, il est empirique et résulte de ceci, qu’en toute science positive on est arrivé à un fait, à un phénomène au-delà duquel on n’a pu aller.

Ces deux manières diffèrent non-seulement par le procédé, mais encore par le résultat. La démonstration psychologique de la relativité de la connaissance humaine est insuffisante philosophiquement; elle ne prouve qu’une seule chose, à savoir que nous ne connaissons un objet que par les sensations qu’il excite en nous, que la connaissance en est purement phénoménale, et que nous ne pénétrons jamais dans ce qu’il est en soi; mais elle ne prouve pas que cela même, qui n’est aperçu de nous que phénoménalement, n’est pas au fond partie et manifestation d’un absolu, s’il est un absolu. En d’autres termes, elle ne ferme pas la voie aux causes premières. Ainsi, pour donner des exemples, dans le système matérialiste, la relativité de la connaissance au sujet de la matière interdit seule-